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DE WILHELM MEISTER. 337

alléluia chanté, à ma grande admiration, par quatre voix humaines que le goût dirige.

Je ne cachai pas à mon oncle ma joie de cette nouvelle découverte. Quand chacun de ses hôtes était occupé de son côte il avait coutume de s’entretenir de préférence avec moi. Il parlait avec une grande modestie de ce qu’il possédait et avait produit ; avec la plus grande assurance, de l’esprit dans lequel il avait recueilli et disposé les objets ; et je pouvais observer qu’il usait envers moi de ménagements, en subordonnant, selon son ancienne habitude, le bien dont il se croyait possesseur et maître, à celui qui, dans ma conviction, était le bien véritable et excellent.

« Si nous pouvons supposer, dit-il un jour, que le Créateur de l’univers a pris lui-même la forme de sa créature, et a passé, comme elle, quelque temps dans ce monde, l’être humain doit nous sembler déjà infiniment parfait, puisque le Créateur a pu s’unir si intimement avec lui. Par conséquent, il ne doit pas exister d’opposition entre l’essence de l’homme et l’essence de la divinité, et, quand même nous sentons souvent entre elle et nous une certaine dissemblance, un certain éloignement, à plus forte raison, devons-nous ne pas considérer toujours et uniquement les faiblesses et les infirmités de notre nature, comme ferait l’avocat du diable, mais plutôt rechercher toutes les perfections par lesquelles nous pouvons confirmer nos prétentions à la ressemblance de la divinité.

Vous me rendez trop confuse, mon cher oncle, lui répondis-je en souriant, par votre complaisance a parler mon langage. Ce que vous avez à me dire a pour moi tant de prix, que je voudrais vous l’entendre énoncer dans la forme qui vous est propre ; ce que je n’en pourrai pas adopter tout à fait, je tacherai du moins de l’interpréter.

-Je pourrai, dit-il, continuer dans la forme qui m’est la plus particulière, sans avoir à changer de ton. Le plus grand mérite de l’homme consiste, il me semble, à dominer, autant que possible, les circonstances, et à se laisser dominer par elles le moins qu’il se peut faire. L’univers est pour nous ce qu’une grande carrière est pour l’architecte, qui ne mérite ce nom qu’en édifiant, avec l’économie, la convenance et la solidité la