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vaisseau l’ait touché, se sent libre encore, et peut désormais confier à la terre fidèle ce qu’il a dérobé à l’onde perfide. Mon ami, ce n’est pas dans les chiffres seulement que paraît notre gain : le bonheur est la divinité des vivants, et, pour sentir véritablement sa faveur, il faut vivre et voir des hommes qui travaillent avec toute l’ardeur de la vie et jouissent avec toute l’énergie de leurs facultés. »

Chapitre XI

Il est temps de faire connaissance avec les pères de nos jeunes amis : deux hommes dont les idées étaient fort différentes, mais dont les sentiments s’accordaient à considérer le commerce comme la plus noble des professions, et tous deux fort attentifs à chaque bénéfice que telle ou telle spéculation pouvait leur procurer.

Aussitôt après la mort de son père, le vieux Meister avait fait argent d’une précieuse collection de tableaux, de dessins, de gravures et d’antiquités ; il avait rebâti et meublé sa maison dans le dernier goût, et il avait fait valoir, par tous les moyens possibles, le reste de sa fortune. Il en avait placé une part considérable dans le commerce du vieux Werner, qui était renommé comme un négociant plein d’activité, et dont les spéculations étaient d’ordinaire favorisées par la fortune. Mais le vieux Meister ne désirait rien tant que de procurer à son fils les talents qui lui manquaient à lui-même, et de laisser à ses enfants des biens à la possession desquels il attachait le plus grand prix. À la vérité il avait un goût particulier pour le luxe, pour ce qui frappe les yeux, mais il y voulait en même temps une valeur intrinsèque et la durée : dans sa maison tout devait être solide et massif, les provisions abondantes, l’argenterie de