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DE WILIIELM MEISTER. 383

je le pouvais, leurs assemblées ; et, avec mon caractère sociable, je trouvai une douceur infinie a recueillir de la bouche d’autres personnes et à leur communiquer ce que je m’étais bornée jusqu’alors à méditer seule en moi-même.

Je n’étais pas assez prévenue pour ne pas remarquer qu’un petit nombre seulement sentaient bien ce tendre langage, et qu’ils n’en étaient pas plus avancés dans la piété qu’auparavant par les liturgies de l’Église. Cependant je marchais avec eux et ne me laissais pas ébranler. Je me disais que je n’avais pas mission pour examiner et juger les cceurs. J’avais été moi-même préparée à l’amendement par mainte innocente expérience. Je prenais ma part ; lorsque j’entrais en explications, je m’attachais au sens, qu’en une matière si délicate, les paroles obscurcissent plutôt que de l’éclaircir, et je laissais d’ailleurs, avec une tolérance tranquille, chacun agir à sa manière.

A ces jours paisibles de secrètes jouissances, goûtées en commun, succédèrent bientôt les orages de luttes et d’adversités publiques, qui agitèrent la cour et la ville, et causèrent même, on peut le dire, plus d’un scandale. Le moment était venu où le premier prédicateur de la cour, ce grand adversaire de la communauté morave, devait apprendre, pour sa pieuse humiliation, que ses auditeurs les plus fervents et les plus dévoués jusqu’alors inclinaient tous vers la communauté. Il fut extrêmement oil’ensé ; il oublia, dans le premier moment, toute mesure ; et, l’aurait-il même voulu, il n’aurait pu, dans la suite, revenir en arrière. De violents débats s’élevèrent, dans lesquels, heureusement, je ne fus pas nommée, parce que ma présence à ces réunions si détestées n’avait été qu’accidentelle, et que notre zélé directeur ne pouvait se passer de mon père et de mon ami dans les affaires civiles. Je gardai la neutralité avec une satisfaction secrète ; car j’avais déjà de la répugnance à m’entretenir de ces sentiments et de ces matières, même avec des personnes bienveillantes, si elles ne pouvaient en saisir toute la profondeur et s’arrêtaient à la surface ; mais, de débattre avec des adversaires des questions sur lesquelles on s’entendait à peine avec des amis, cela me semblait inutile et même pernicieux. En effet, je ne tardai pas à remarquer que des hommes d’un caractère noble et bienveillant, qui ne purent, dans cette occasion, se préserver de