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372 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

confiance en l’Être invisible, qu’un enfer et des peines extérieures me semblaient promettre un adoucissement plutôt que menacer d’une aggravation de peine. Il me suffisait de voir dans ce monde des hommes qui ouvrent leur cœur aux sentiments haineux, qui s’endurcissent contre le bien, quel qu’il soit, et qui veulent faire souffrir le mal à eux-mêmes et aux autres ; qui se plaisent à fermer les yeux en plein jour, afin de pouvoir affirmer que le soleil ne répand aucune lumière. Oh ! ces hommes me semblaient malheureux au delà de toute expression ! Qui aurait pu créer un enfer pour aggraver leur état ?

Je demeurai dans ces sentiments pendant dix années consécutives ils se maintinrent à travers beaucoup d’épreuves, et même devant le lit de mort de ma mère bien-aimée. Je fus assez franche pour ne pas dissimuler ma sérénité à des personnes pieuses, mais d’une piété tout à fait systématique, et je dus en essuyer maints reproches bienveillants. On croyait m’avertir fort à propos des efforts sérieux que nous devons faire pour asseoir une base solide dans les jours de santé.

Des efforts sérieux, je ne voulais pas manquer d’en faire je me laissai persuader un moment, et j’aurais souhaité, au prix de ma vie, être pleine’de tristesse et d’épouvanté. Mais combien ne fus-je pas étonnée, quand je vis, une fois pour toutes, que c’était la chose impossible Quand je pensais à Dieu j’étais sereine et contente ; même en assistant à la douloureuse fin de ma mère, je ne sentais point les horreurs de la mort. Toutefois, dans ces heures solennelles, j’appris beaucoup, et de tout autres choses que ne supposaient ceux qui s’étaient chargés de m’instruire.

Peu à peu les lumières de tant d’illustres personnages me semblèrent douteuses, et je gardai en silence mes sentiments. Une certaine amie, à qui j’avais fait d’abord trop de concessions, voulait s’ingérer sans cesse dans mon état religieux ; je fus obligée de me délivrer d’elle et je lui dis un jour nettement qu’elle devait s’épargner cette peine ; que ses conseils ne m’étaient pas nécessaires je connaissais mon Dieu et ne voulais avoir que lui pour guide. Elle se trouva très-offensée, et je crois qu’elle ne me l’a jamais entièrement pardonné. Cette résolution, de me soustraire aux conseils et à l’influence