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366 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE.

ayant obtenu l’avancement le plus désirable, me fit encore offrir sa main, mais à condition que je changerais de sentiment, en devenant l’épouse d’un homme qui devrait avoir une maison. Je remerciai poliment, et me hâtai de détourner mon esprit et mon cœur de cette liaison, comme on se hâte de quitter la salle de spectacle, à la chute du rideau. Et, comme, peu de temps après, il trouva un riche et brillant parti, ce qui lui était maintenant très-facile, je le savais heureux à sa manière, et mon repos fut complet.

Je ne dois point passer sous silence que plusieurs fois, avant que Narcisse obtint un emploi, et plus tard aussi, on me fit de très-honorables propositions de mariage ; mais je les refusai sans balancer, quoique mes parents eussent fort désiré me les voir accepter.

Alors il me sembla qu’après les bourrasques de mars et d’avril, j’étais entrée dans le plus beau mois de mai. Je jouissais d’une bonne santé et d’une paix ineffable sous tous les rapports, j’avais gagné à faire cette perte. Jeune et sensible comme je l’étais je trouvais la création mille fois plus belle qu’au temps où j’avais besoin de jeux et de société pour ne pas m’ennuyer dans notre beau jardin. N’ayant pas rougi de ma dévotion j’eus le courage de ne pas cacher mon goût pour les arts et les scien ces. Je m’occupai de dessin, de peinture, de lecture, et je trouvai assez d’amis pour me soutenir. Au lieu du grand monde, que j’avais laissé ou plutôt qui me laissa il s’en forma autour de moi un petit, mais bien plus riche et plus intéressant. J’avais de l’inclination pour la vie sociale, et j’avoue qu’au moment ou je me séparai de mes anciennes connaissances, j’envisageai avec horreur la solitude. Maintenant je me trouvais assez dédommagée, et trop peut-être. Mes relations s’étendirent désormais, nonseulement chez ceux de mes compatriotes dont les sentiments s’accordaient avec les miens, mais aussi chez les étrangers. Mon histoire avait fait du bruit, et beaucoup de gens désirèrent connaître la jeune fille qui avait préféré Dieu à son amant. Un certain réveil religieux se faisait alors apercevoir dans toute l’Allemagne. Dans plusieurs maisons de princes et de seigneurs on s’occupait du salut de son âme il ne manquait pas de gentilshommes qui nourrissaient les mêmes pensées, et, dans les