Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/367

Cette page n’a pas encore été corrigée

DE WILHELM MEISTER. 363

coup que c’était simplement une cloche de verre, qui m’isolait dans un espace sans air que j’eusse seulement la force de la briser, et j’étais sauvée !

L’action suivit la pensée j’ôtai le masque, et, en chaque occasion, je suivis l’inspiration de mon cœur. J’avais toujours aimé Narcisse tendrement ; mais le thermomètre, qui était auparavant plongé dans l’eau bouillante, fut désormais suspendu à l’air libre il ne pouvait marquer une chaleur supérieure à celle de l’atmosphère.

Par malheur, l’atmosphère se refroidit beaucoup. Narcisse commençait à se retirer et à prendre des manières cérémonieuses cela lui était loisible, mais mon thermomètre baissa à mesure qu’il se retirait. Ma famille s’en aperçut, on me questionna, on parut surpris. Je déclarai, avec une mâle fermeté, que j’avais fait jusqu’alors assez de sacrifices ; que j’étais prête encore à soutenir avec Narcisse, jusqu’à la fin de ma vie, toutes les adversités, mais que je demandais pour mes actions une pleine liberté ; que ma conduite devait dépendre de mes convictions ; je ne persisterais jamais par obstination dans mon sentiment ; j’écouterais au contraire volontiers toutes les représentations ; mais, comme il s’agissait de mon propre bonheur, la décision devait dépendre de moi, et je ne souffrirais aucune contrainte. Les raisonnements du plus grand médecin ne pourraient me décider à user d’un aliment, fort sain peut-être, et que beaucoup de gens trouveraient très-agréable, dès que mon expérience m’aurait prouvé qu’il m’était toujours nuisible (et je pouvais donner pour exemple l’usage du café) tout aussi peu, et bien moins encore, pourrais-je me laisser démontrer qu’une action qui m’égarait me fût moralement salutaire.

Comme je m’étais longtemps préparée en silence à soutenir ces débats, ils me furent plutôt agréables que pénibles. J’épanchai mon cœur, et je sentis tout l’avantage de ma résolution. Je ne cédai pas de l’épaisseur d’un cheveu, et je réfutai vertement tous ceux à qui je ne devais pas le respect nlial. Je triomphai bientôt dans ma famille. Dès sa jeunesse, ma mère avait eu les mêmes sentiments ; seulement ils n’étaient pas parvenus chez elle à la maturité ; nulle contrainte ne l’avait forcée et ne lui avait donné le courage de faire prévaloir sa conviction. Elle