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360 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

plois auxquels Narcisse pouvait prétendre. Le moment approchait qui allait décider de mon sort ; et, tandis que Narcisse et tous nos amis se donnaient à la cour tout le mouvement possible, pour effacer certaines impressions qui lui étaient défavorables, et lui faire obtenir l’emploi désiré, je me tournai, avec ma requête, vers mon invisible ami. Je fus si tendrement reçue, que j’y retournai volontiers. J’exprimai librement mon vœu que Narcisse obtint cette place cependant ma prière ne fut pas trop pressante, et je ne demandai pas que la chose arrivât a cause de ma supplication.

La place fut donnée à un concurrent très-inférieur en mérite. A cette nouvelle, je fus bouleversée, et je courus dans ma chambre, où je m’enfermai. Ma première douleur se répandit en larmes ; ma seconde pensée fut que cela n’était point arrivé par hasard, et aussitôt je pris la résolution de me résigner parfaitement, persuadée que cette affliction apparente tournerait aussi à mon bien. Alors je fus pénétrée des sentiments les plus doux, qui dissipèrent tous les nuages du chagrin ; je sentais qu’avec un pareil secours on pouvait tout supporter. Je parus à table le visage serein, à la grande surprise de mes parents. Narcisse avait moins de force que moi et je dus le consoler. Il éprouva aussi dans sa famille des disgrâces, qui l’affligèrent beaucoup, et dont il me fit confidence, avec le véritable abandon qui régnait entre nous. Ses tentatives pour obtenir de l’emploi dans un pays étranger ne furent pas plus heureuses ; je sentais tout cela profondément, à cause de lui et de moi ; enfin je reportai tout à Celui qui accueillait si bien mes soupirs. Plus ces expériences étaient douces, plus je cherchais à les renouveler, et demandais la consolation où je l’avais trouvée si souvent. Mais je ne la trouvais pas toujours j’étais comme celui qui veut se réchauffer au soleil, et qui rencontre en chemin quelque objet qui lui fait de l’ombre. « Qu’est cela ?" me demandais-je. J’observai la chose avec une sérieuse attention, et je vis clairement que tout tenait à la disposition de mon âme si elle n’était pas parfaitement dirigée vers Dieu, je demeurais froide ; je ne le sentais pas réagir sur moi, et ne pouvais entendre sa réponse.

Mais quel obstacle m’empêchait de prendre cette direction ?