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340 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

compensèrent ses douloureux efforts mais après la chute du rideau on la trouva presque évanouie dans un fauteuil. Serlo avait déjà témoigné son mécontentement de son jeu, qu’il appelait exagéré, et de ce qu’elle avait dévoilé le fond de son cœur aux yeux du public, plus ou moins instruit de sa fatale aventure, et, selon sa coutume dans la colère, il en avait grincé les dents et frappé du pied.

« Laissez-la faire dit-il, lorsqu’il la trouva dans le fauteuil, entourée des autres acteurs, au premier jour, elle paraîtra sur la scène toute nue et rien ne manquera à son triomphe. Ingrat barbare s’écria-t-elle on me portera bientôt nue, là où nuls applaudissements ne parviennent plus à nos oreilles. » En disant ces mots, elle se leva et courut à la porte. Sa femme de chambre avait négligé de lui apporter un manteau ; sa chaise à porteurs n’était pas là il avait plu et un vent glacial soufflait dans les rues. On essaya vainement de la retenir car elle était fort échauffée elle eut soin de marcher lentement, et vantait cette fraîcheur, qu’elle semblait respirer avec délices. A peine fut-elle à la maison qu’un enrouement lui ôta presque l’usage de la parole mais elle ne dit pas qu’elle éprouvait dans la nuque et le dos une grande roideur peu de temps après, sa langue fut comme paralysée en sorte qu’elle disait un mot pour l’autre on la porta dans son lit ; de prompts secours calmaient un mal tandis qu’un autre se développait sa fièvre devint violente et son état dangereux.

Le lendemain, elle eut une heure tranquille. Elle fit appeler Wilhelm et lui remit une lettre.

« La feuille que voila, lui dit Aurélie, attendait cette heure depuis longtemps. Je sens approcher la fin de ma vie promettez-moi de remettre vous-même cette lettre, et que vous punirez l’infidèle des maux que j’ai soufferts, en lui adressant quelques reproches. Il n’est pas insensible, et ma mort l’affligera du moins un moment.

Wilhelm prit la lettre, en essayant toutefois de rassurer Aurélie et d’éloigner d’elle la pensée de la mort.

« Non répondit-elle, ne m’ôtez pas ma plus chère espérance. Je l’ai longtemps attendue, et je la recevrai avec joie dans mes bras. »