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8~8 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

insensés et malséants mais, qu’on leur expose la décence et la raison d’une manière intéressante elles les captiveront certainement.

Le principal défaut de notre scène, et auquel ne songent ni les acteurs ni les spectateurs, c’est qu’en général elle présente une trop grande bigarrure, et qu’on n’y trouve nulle part de limite, à laquelle on puisse arrêter son jugement. Il ne me semble point que ce soit un avantage pour nous d’avoir développé notre théâtre, jusqu’à en faire une représentation infinie de la nature. Cependant ni directeurs ni comédiens ne peuvent maintenant se réduire à des bornes plus étroites il faut attendre le moment où peut-être le goût de la nation aura tracé lui-même les justes limites. Toute bonne société n’existe que sous certaines conditions, et il en est de même d’un bon théâtre. Il est des manières et des expressions des objets et des façons d’agir, qui doivent être exclus. On n’en devient pas plus pauvre pour mettre en ordre sa maison. s

Ils étaient là-dessus plus ou moins d’accord, plus ou moins divisés. Wilhelm et le grand nombre tenaient pour le théâtre anglais, Serlo et quelques autres pour le théâtre français. Pour occuper les heures de loisir, dont un comédien a toujours abondance, on convint de lire en commun les plus célèbres pièces des deux théâtres et d’observer ce qu’on y trouverait de meilleur et d’imitable. On commença par lire quelques pièces françaises. Aurélie s’éloignait chaque fois aussitôt que la lecture commençait. D’abord on la crut malade, mais un jour Wilhelm, que la chose avait surpris, lui en demanda la raison. « Je n’assisterai à aucune de ces lectures, lui dit-elle. Comment pourrais-je écouter et juger, quand mon cœur est brisé ? ` ? Je hais la langue française de toute mon âme.

Comment peut-on dit Wilhelm, être l’ennemi d’une langue à laquelle on doit la plus grande partie de sa propre culture, et à laquelle nous aurons bien des obligations encore, avant que notre caractère soit formé ?

Ce n’est pas un préjuge répondit Aurélie. Une impression funeste, un odieux souvenir de mon infidèle ami, m’a ôté le goût de cette langue si belle et si parfaite. Comme je la hais maintenant de tout mon cœur Pendant le temps de notre douce