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la main glacée du remords n’avait pas quelquefois porté le trouble dans son cœur ! Elle n’y pouvait échapper, même dans les bras de Wilhelm et sous l’aile de son amour. Et, lorsqu’elle se retrouvait seule et qu’elle retombait, des nuages où la passion de Wilhelm l’avait emportée, dans le sentiment de sa situation, alors elle était à plaindre ! La légèreté avait été son refuge, lorsqu’elle vivait dans un désordre vulgaire ; qu’elle s’abusait sur sa position ou plutôt qu’elle ne la connaissait pas. Les aventures auxquelles elle était exposée lui paraissaient des événements isolés ; le plaisir et la peine se relayaient ; l’humiliation était compensée par la vanité, et souvent le besoin, par une opulence passagère ; elle pouvait se représenter la nécessité et l’habitude comme une loi et une excuse, et cependant secouer d’heure en heure, de jour en jour, toutes les sensations désagréables. Maintenant la pauvre fille s’était sentie transportée quelques instants dans un monde meilleur ; comme d’un lieu élevé, du sein de la lumière et de la joie, elle avait jeté un regard sur le désert, le dérèglement de sa vie ; elle avait senti quelle misérable créature est une femme, qui, en inspirant le désir, n’inspire pas en même temps l’amour et le respect, et, au dedans comme au dehors, elle ne se trouvait en rien plus digne d’estime. Elle n’avait rien qui pût la soutenir ; lorsqu’elle s’observait et se cherchait elle-même, son âme était vide, son cœur sans appui. Plus sa situation était triste, plus elle s’attachait avec ardeur à son amant ; sa passion croissait chaque jour, comme le danger de le perdre s’approchait chaque jour davantage.

De son côté, l’heureux Wilhelm planait dans les plus hautes régions ; un monde nouveau s’était aussi ouvert devant lui, mais riche en magnifiques perspectives. À peine les transports de sa première ivresse se furent-ils apaisés, qu’il vit clairement devant ses yeux ce qui l’avait ébloui et troublé jusqu’alors. « Elle est à toi ! elle s’est donnée à toi ! Cette femme chérie, recherchée, adorée, s’est livrée à ta foi ! Mais elle ne s’est pas abandonnée à un ingrat. » Où qu’il fût, il se parlait à lui-même ; son cœur s’épanchait sans cesse ; et il se débitait, dans un flot de paroles pompeuses, les plus sublimes sentiments. Il croyait comprendre la manifeste volonté de la destinée, qui lui tendait