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DE WILHEUI MHISTER. 305

GOETHE.–AKX.D’APr. ~0

Ne chantez pas d’un ton lugubre la solitude de la nuit ! Non, beautés charmantes, la nuit est faite pour la société.

« Ainsi que la femme fut donnée à l’homme, comme sa plus belle moitié, la nuit est la moitié de la vie, et c’est la moitié la plus belle.

Pouvez-vous aimer le jour, qui ne fait qu’interrompre les plaisirs ? Il est bon à nous distraire ; il ne vaut rien pour autre chose.

« Mais, lorsqu’aux heures de la nuit, la douce lampe verse une faible lumière et que, des lèvres aux lèvres voisines, s’épanchent le badinage et l’amour ;

« Lorsque l’enfant prompt et volage, qui d’ordinaire précipite sa course ardente, impétueuse, souvent pour la moindre faveur, s’arrête au milieu des jeux légers ;

« Quand le rossignol chante aux amants une amoureuse chanson, où les captifs et les affligés n’entendent que plaintes et soupirs

« Avec quels doux battements de cœur ne prêtez-vous pas l’oreille à la cloche, dont les douze coups discrets promettent repos et sûreté !

« Aussi, durant la longue journée, ma chère âme, qu’il t’en souvienne, chaque jour a son tourment et chaque nuit son plaisir.

Philine, en terminant sa chanson, fit une petite révérence, et Serlo cria «Bravo ! » Elle sorlit vivement, et s’enfuit, en faisant des éclats de rire ; on l’entendait encore fredonner, en descendant l’escalier, et faire cliqueter ses pantoufles.

Serlo passa dans la chambre voisine ; Aurélie, debout devant Wilhelm, qui lui souhaitait le bonsoir, lui dit encore « Que cette Philine m’est odieuse, profondément odieuse, jusque dans les plus petites choses ! Ces cils bruns, avec ces cheveux blonds, que mon frère trouve ravissants, je ne puis les souffrir ; et cette cicatrice au front est à mes yeux un objet tellement ignoble et repoussant, qu’il me ferait reculer de dix pas. Elle racontait l’autre jour, par forme de plaisanterie, que, dans son enfance, son père lui avait jeté une assiette à la tête, et qu’elle en portait la marque. Elle est bien marquée aux yeux et sur le front, afin qu’on ait à se méfier d’elle. »