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DE WILHELM MEISTER. 291

touchants, qui le mettent dans cet état, ce sont, pour essayer de rendre clairement ma pensée, les beaux passages, où le pur génie du poëte brille comme un regard de son oeil étincelant ; ces passages qui nous charment le plus, et que la foule ne remarque point.

Avec une sensibilité si vive, pourquoi ne paraît-il pas sur le théâtre ?

Un organe rauque, une contenance embarrassée, l’excluent de la scène, répondit Serlo, et son humeur triste l’éloigne de la société. Quelle peine ne me suis-je pas donnée pour l’apprivoiser ! Peine inutile ! Il lit parfaitement, comme je n’ai jamais entendu lire ; nul n’observe, comme lui, la ligne délicate qui sépare la déclamation de la lecture animée. Il est trouvé s’écria Wilhelm ; il est trouvé ! Quelle heureuse découverte Nous avons l’acteur qui pourra nous lire le passage du farouche Pyrrhus !

Il faut avoir votre passion, reprit Serlo, pour faire tout concourir à son but.

En vérité, je craignais fort qu’il ne fallût peut-être supprimer cet endroit, et toute la pièce en aurait souffert. J’en doute un peu, dit Aurélic.

J’espère que vous serez bientôt de mon avis, dit Wilhelm. Shakspeare a un double but, en produisant les comédiens de passage. L’homme qui déclame, avec une émotion si singulière, la mort de Priam, fait sur Hamlet lui-même une impression profonde ; il stimule la conscience du jeune prince, qui hésite encore, et, par là, cette scène est le prélude de celle dans laquelle le petit spectacle produit sur le roi un si grand effet. Hamiet se sent humilié par le comédien, qui prend une si grande part à des douleurs fictives, étrangères, et cela lui suggère aussitôt l’idée de faire une tentative pareille sur la conscience de son beau-père. Quel magnifique monologue que celui qui termine le second acte Que j’aurai de plaisir à le réciter

« Oh ! quel misérable, quel vil esclave je suis N’est-ce pas « monstrueux, que ce comédien par une fiction, par le rêve « d’une passion, tourmente son âme à son gré, au point que la « pâleur couvre son visage ! Des yeux en pleurs ! des gestes « égarés une voix brisée tout son être possédé d’un seul sen