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DE WILHELM MEISTER. 269

Aurélie regarda Wilhelm avec une farouche indin’érence, et, comme il lui tendait la main elle recula de quelques pas. Ce n’est pas la peine ! dit-elle ; quelques pleurs de femme de plus ou de moins, la mer n’en sera ni plus ni moins grande. Cependant, poursuivit-elle, sur tant de milliers, une de sauvée, c’est quelque chose ; sur tant de milliers, trouver un homme sincère, cela n’est pas à dédaigner. Savez-vous aussi ce que vous promettez ’1

Je le sais, répondit Wilhelm en souriant, et il tendit la main.

J’accepte, dit Aurélie.

Elle nt un mouvement de la main droite, qui fit croire à Wilhelm qu’elle voulait prendre la sienne ; mais elle porta vivement la main à sa poche, elle en tira le poignard, avec la vitesse de l’éclair, et lui en promena rapidement la pointe et le tranchant sur la main il la retira soudain, mais déjà le sang coulait.

« Il faut vous marquer rudement, vous autres hommes, pour que le souvenir vous en reste ! s’écria-t-elle, avec une gaieté sauvage, qui fit bientôt place au plus vif empressement. Elle prit son mouchoir, et enveloppa la main de Wilheim pour arrêter le sang.

« Pardonnez à une femme presque insensée, lui dit-elle, et ne regrettez pas ces gouttes de sang. Je suis apaisée, je reviens à moi. Je veux vous demander pardon à genoux ; laissez-moi la consolation de vous guérir. s

Elle courut à son armoire, y prit du linge et quelques objets, arrêta le sang, et visita soigneusement la blessure. L’incision partait de la base du pouce, traversait la ligne de vie, et s’étendait jusqu’au petit doigt. Aurélie le pansait en silence ; elle était plongée dans une sérieuse rêverie ; Wilhelm lui dit plusieurs fois

« Ma chère, comment avez-vou~ pu blesser votre ami 2 Silence ! lui répondit-elle, en se posant un doigt sur la bouche, silence »