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268 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

Aurélie s était levée et se promenait dans la cnamore. ’< Je me répète, s’écria-t-elle, toutes les raisons que j’avais de ne pas l’aimer ; je sais aussi qu’il n’en est pas digne ; je détourne mes affections tantôt sur un objet, tantôt sur un autre ; je m’occupe comme je puis. Quelquefois j’apprends un rôle, quand même je n’ai pas à le jouer ; les anciens, que je connais à fond, je les étudie dans le détail, avec une application nouvelle, et les médite encore et encore. Mon ami, mon confident, quel horrible travail, de s’arracher à soi-même ! Ma raison s’altère, ma tête s’égare pour me sauver de la folie, je reviens a ce sentiment. que je l’aime !

« Oui, je l’aime, je l’aime ! s’écria-t-elle, baignée de larmes ; je l’aime, et c’est ainsi que je veux mourir. s

Wilhelm lui prit la main, et la conjura, avec les dernières instances, de ne pas se déchirer elle-même.

« Étrange destinée de l’homme ! disait-il, que non-seulement l’impossible, mais le possible même, lui soit souvent refusé ! Vous n’étiez pas destinée à rencontrer un cœur Sdelc, qui vous aurait donné une félicité parfaite ; et moi, je devais attacher tout le bonheur de ma vie a une infortunée, que j’ai accablée, brisée peut-être comme un roseau, avec le fardeau de ma fidélité. Wilhelm avait fait confidence à Aurélie de sa liaison avec Marianne, et pouvait donc y faire allusion elle le regarda fixement, et lui dit

« Pouvez-vous affirmer que vous n’avez jamais trompé aucune femme ; que jamais vous n’avez cherché à surprendre ses faveurs par de frivoles hommages, des déclarations téméraires, des serments séducteurs ?

Je le puis, repartit Wilhelm, et je n’en fais pas gloire, car ma vie était fort simple, et je fus tenté rarement de devenir tentateur. Et quel avertissement pour moi, ma belle et noble amie, que le triste état dans lequel je vous vois plongée Recevez un vœu que m’inspire mon cœur, qui se formule en paroles expresses par l’émotion que vous m’avez inspirée, et qui est sanctifié par ce moment je jure de résister à toute inclination passagère, et même d’ensevelir les plus sérieuses dans mon sein ; aucune femme n’entendra jamais l’aveu de mon amour, que celle a qui je pourrai consacrer ma vie.