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DE WILHELM MEISTER. 259

désavouait point une manie favorite, on la traitait pour ce qu’elle était réellement ; tandis que, par l’autre voie, avec le secours de l’illusion personnelle, elle finit souvent par être maîtresse au logis, et réduit à un secret esclavage la raison, qui s’imagine l’avoir dès longtemps mise à la porte. La marotte faisait le tour de la confrérie, et il était permis à chacun de la décorer, à son jour, d’une manière caractéristique, d’attributs personnels ou étrangers. Dans le temps du carnaval, on prenait les plus grandes libertés, et l’on rivalisait d’efforts avec le clergé, pour amuser et attirer le peuple. Les processions solennelles et allégoriques de vertus et de vices, de sciences et d’arts, de saisons et de parties du monde, personnifiaient pour le peuple une foule d’idées, et lui donnaient des notions d’objets éloignés, et par là ces amusements n’étaient pas sans utilité, tandis que les momeries du clergé ne faisaient que fortifier toujours davantage une absurde superstition.

Le jeune Serlo se retrouvait là dans son élément. 11 n’avait pas le génie créateur, mais beaucoup d’adresse pour utiliser, disposer et faire valoir ce qu’il trouvait à sa portée. Ses saillies, son talent d’imitation, son esprit mordant, auquel il osait donner libre carrière, du moins une fois par semaine, même contre ses bienfaiteurs, le rendaient précieux et même indispensable a toute la société.

Mais son inquiétude lui fit bientôt abandonner cette position avantageuse, pour visiter d’autres provinces de sa patrie, ou il eut à faire de nouvelles expériences. Il visita cette partie civilisée, mais prosaïque, de l’Allemagne, où le culte du beau et du bon ne manque pas sans doute de vérité, mais souvent de génie. Là il ne pouvait plus réussir avec ses masques ; il dut essayer d’agir sur l’esprit et le cœur. Il ne passa que peu de temps dans les grandes et les petites troupes, et saisit l’occasion d’observer les particularités de tout le répertoire et de tous les acteurs. La monotonie qui régnait alors sur ]a scène allemande, le rhythme et la chute insipides de l’alexandrin, le dialogue plat et ampoulé, la sécheresse et la vulgarité des sermons de morale toute crue il eut bientôt tout saisi, et, en même temps, observé ce qui savait plaire et toucher.