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DE WILHELM MEISTER. 253

public, avec toute la nation, étaient changés. Tout à coup elle s’offrait de nouveau a mes regards sous le jour le plus favorable, et je m’étonnais de mon premier aveuglement.

« Que tu étais déraisonnable, me disais-je souvent, de blâmer un peuple justement de ce qu’il est un peuple ! Est-il néces«saire, est-il possible, que les individus soient intéressants ? Nullement ! il s’agit de savoir si, dans la grande masse, ne sont pas réparties une foule de dispositions, de forces et de facultés, qui puissent être développées par des circonstances « favorables et conduites à une fin commune par des hommes « éminents. J’étais charmée dès lors de trouver parmi mes compatriotes si peu d’originalité saillante ; j’étais charmée de les voir accepter, sans répugnance une direction étrangère j’étais charmée d’avoir trouvé un guide.

« Lothaire (laissez-moi désigner mon ami par ce prénom chéri), Lothaire m’avait toujours parlé de la vaillance allemande, et m’avait fait voir qu’il n’est pas au monde une nation plus brave, lorsqu’elle est bien conduite, et je rougissais de n’avoir jamais songé à la première qualité d’un peuple. H connaissait l’histoire, et il était en relation avec la plupart des hommes distingués de son temps. Dès la fleur de son âge, il suivait des yeux la jeunesse allemande, cette génération nouvelle qui donnait tant d’espérances ; il suivait les silencieux travaux auxquels se livraient, dans tous les genres, des hommes assidus et laborieux. Il me faisait passer l’Allemagne en revue, me montrait ce qu’elle est, ce qu’elle peut être, et je me reprochai.s d’avoir jugé une nation d’après cette tourbe confuse qui se presse dans les coulisses d’un théâtre. Il me faisait un devoir de me montrer aussi, dans ma profession, vraie, animée et vivifiante. Je me croyais inspirée, chaque fois que je paraissais sur la scène. Des choses de peu de valeur devenaient de l’or dans ma bouche ; et si un poète m’avait dignement soutenue, j’aurais produit des effets prodigieux.

« Ainsi vécut pendant quelques mois lajeune veuve. Il ne pouvait se passer de moi, et j’étais fort malheureuse en son absence. Il me,communiquait les lettres de ses parents, de son excellente sœur ; il prenait intérêt à mes moindres affaires ; on ne peut imaginer d’union plus intime, plus parfaite. Le mot