Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/244

Cette page n’a pas encore été corrigée

240 LES ANNÉES D’APPRENTISSAGE

prié par Aurélie de se rendre chez elle. H y courut, et la trouva assise sur son canapé. Elle souffrait d’un mal de tête et faisait de vains efforts pour dissimuler un accès de fièvre. A la vue de Wilhelm, son regard devint plus serein.

« Pardonnez-moi, lui dit-elle ; la confiance que vous m’avez inspirée m’a rendue faible. Jusqu’ici j’ai pu m’entretenir en secret avec ma douleur ; elle me donnait même de la force et du courage maintenant vous avez, je ne sais comment, brisé les liens de la réserve, et vous prendrez part, fùt-ce malgré vous au combat que je soutiens contre moi-même.

Wilhelm lui répondit avec grâce et cordialité. Il assura que l’image et la douleur d’Aurélie l’avaient constamment occupé ; qu’il serait heureux d’obtenir sa confiance et qu’il se déclarait son ami.

Comme il parlait ainsi, ses yeux se fixèrent sur le petit garçon qui était assis par terre devant lui entouré de joujoux qu’il mêlait confusément. Il pouvait avoir trois ans, comme Philine l’avait dit, et Wilhelm comprit comment l’étourdie, qui se servait rarement d’expressions relevées, avait pu comparer cet enfant au soleil autour de ses grands yeux et de son visage arrondi, flottait en boucles dorées la plus belle chevelure sur un front d’une blancheur éblouissante, des sourcils bruns, délicats, dessinaient leur élégante courbure ; le coloris de la santé brillait sur ses joues.

« Placez-vous près de moi dit Aurélie. Vous regardez cet heureux enfant avec surprise. Je l’ai reçu dans mes bras avec joie ; je le garde avec soin, mais il me fait bien juger l’étendue de mes douleurs, car elles me laissent rarement sentir le prix d’un pareil trésor.

« Souffrez, poursuivit-elle que je vous parle aussi de moi et de ma destinée, car j’attache un grand prix à ne pas être méconnue de vous. Je croyais avoir quelques moments de calme c’est pourquoi je vous ai fait demander vous voilà, et je me sens troublée. Encore une femme abandonnée ! direz-vous peutêtre. Vous êtes un homme, et vous dites en vous-même «.Comme elle s’agite pour un mal nécessaire, dont une femme est plus certainement menacée que de la mort ! Tant de bruit pour un homme infidèle ! La folle ! 0 mon ami si ma destinée était