Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome VI.djvu/24

Cette page n’a pas encore été corrigée

dans le verre de Wilhelm, et il était persuadé que pas un mot de son histoire n’était tombé à terre. Après une courte pause, il s’écria :

«  À toi maintenant, Marianne, de me faire part des premiers plaisirs de ton enfance ! Jusqu’ici nous étions trop occupés du présent, pour nous soucier mutuellement de notre vie passée. Dis-moi au milieu de quelles circonstances tu fus élevée ; quelles sont les premières impressions qui vivent dans ton souvenir ? »

Ces questions auraient jeté Marianne dans un grand embarras, si la vieille ne fût aussitôt venue à son secours.

«  Croyez-vous donc, dit la prudente Barbara, que nous soyons si attentives à ce qui nous arrive dans le premier âge ; que nous ayons d’aussi jolies aventures à raconter, et, quand cela pourrait être, que nous saurions donner à la chose un tour aussi agréable ?

— Comme s’il était besoin de cela ! s’écria Wilhelm. J’aime tant cette bonne, aimable et tendre amie, que j’ai regret à tous les moments de ma vie que j’ai passés sans elle. Que du moins je m’associe en imagination à ta vie passée ! Raconte-moi tout ; je veux tout te raconter aussi. Tâchons de nous faire illusion s’il est possible, et regagnons le temps perdu pour l’amour.

— Puisque vous le désirez si vivement, dit la vieille, nous pourrons vous satisfaire ; mais racontez-nous d’abord comment votre passion pour le théâtre s’est accrue insensiblement ; comment vous l’avez exercée ; comment vous avez fait de si heureux progrès, que vous méritez aujourd’hui d’être qualifié de bon comédien. Assurément vous n’avez pas manqué de plaisantes aventures. Ce n’est pas la peine d’aller nous coucher. J’ai encore une bouteille en réserve, et qui sait si bientôt nous serons encore ensemble aussi tranquilles et contents ? »

Marianne jeta à la vieille un regard mélancolique : Wilhelm ne s’en aperçut pas, et il continua son récit.