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232 LES ANNEES D’APPRENTISSAGE

sa conversation fut si agréable, qu’il ne remarqua point une teinte prononcée de mélancolie, qui donnait à sa spirituelle physionomie un intérêt particulier.

Pour la première fois, depuis longtemps, Wilhelm se retrouvait dans son élément. Il n’avait rencontré jusqu’alors que des auditeurs à peine disposés à l’entendre maintenant il avait le bonheur de parler à des artistes et à des connaisseurs, qui le comprenaient parfaitement, et dont les répliques pouvaient même l’instruire. Avec quelle rapidité on parcourut les pièces nouvelles ! Avec quelle sûreté on les jugea ! Comme on sut peser et apprécier le jugement du public ! Avec quelle promptitude on s’entendit de part et d’autre !

La prédilection de notre ami pour Shakspearc ne pouvait manquer d’amener la conversation sur ce poëte. Il exprima la plus vive espérance que ces excellents ouvrages feraient époque en Allemagne, et il ne tarda pas à produire son ~ !m~< qui l’avait tant occupé.

Serlo assura qu’il aurait dès longtemps donné la pièce, si la chose eût été possible ; qu’il se chargerait volontiers du rôle de Polonius.

« Et Ophélie se trouvera, je pense, ajouta-t-il en souriant, si nous pouvons seulement trouver le prince. »

Wilhelm ne s’aperçut point que cette plaisanterie du frère parut déplaire à la sœur, et, à sa manière, il exposa longuement et doctement dans quel esprit il voudrait que le rôle d’Hamlet fût joué. Il présenta dans le plus grand détail les résultats dont nous l’avons vu occupé, et se donna beaucoup de peine pour faire accueillir son opinion, quelques doutes que Serlo élevât contre son hypothèse.

« Eh bien, soit ! dit enfin le directeur, nous vous accordons tout cela quelle en sera selon vous la conséquence ? Elle sera grande, elle sera décisive, répliqua Wilhelm. Imaginez un prince, tel que je l’ai dépeint, dont le père meurt soudainement. L’ambition et la soif du pouvoir ne sont point les passions qui l’animent, car il lui suffisait d’être fils de roi maintenant il est forcé d’observer avec plus d’attention la distance qui sépare le roi du sujet. La couronne n’était pas héréditaire ; cependant si le père avait vécu plus longtemps, les droits