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ce qui n’était pas faisable dans le drame régulier. Je sentais chaque jour plus d’attrait pour le petit coin où je goûtais tant de plaisirs, et, je l’avouerai, le parfum dont les marionnettes s’étaient imprégnées dans l’office n’y était pas étranger.

«  Les décorations de mon théâtre étaient désormais assez complètes ; l’adresse que j’avais eue de bonne heure pour manier le compas, découper le carton, enluminer des figures, me servait maintenant à souhait. Mes regrets étaient d’autant plus vifs de voir, trop souvent, le personnel me manquer pour la représentation de grandes pièces. Mes sœurs, en habillant et déshabillant leurs poupées, me suggérèrent l’idée de donner aussi peu à peu à mes héros des costumes que l’on pût changer. On sépara du corps les lambeaux qui le couvraient ; on les ajusta ensemble aussi bien que l’on put ; on fit quelques épargnes ; on acheta des rubans et des paillettes ; on mendia quelques morceaux de taffetas, et l’on forma peu à peu une garde-robe de théâtre, où les robes à paniers ne furent pas oubliées.

«  La troupe était donc pourvue d’habits pour jouer les plus grandes pièces, et l’on aurait pu croire que les représentations allaient se succéder sans intervalles ; mais il m’arriva ce qui arrive d’ordinaire aux enfants : ils forment de vastes projets ; ils font de grands préparatifs, même quelques essais, et tout reste là. C’est un défaut dont je dois m’accuser. Pour moi, le plus grand plaisir était d’inventer, d’exercer mon imagination. Telle ou telle pièce m’intéressait pour une scène, et je faisais aussitôt préparer de nouveaux costumes. Tous ces apprêts avaient jeté les anciens habits de mes héros dans un tel désordre et une telle dispersion, que la première grande pièce ne pouvait plus elle-même être représentée. Je m’abandonnais à ma fantaisie, j’essayais et je préparais sans cesse ; je bâtissais mille châteaux en l’air, et ne m’apercevais pas que j’avais détruit les fondements du petit édifice. »

Pendant ce récit, Marianne avait prodigué à Wilhelm des caresses, pour cacher l’envie qu’elle avait de dormir. Le récit avait sans doute son côté plaisant, mais il était cependant trop simple pour elle et les réflexions trop sérieuses. Elle posait tendrement son pied sur le pied de son amant, et lui donnait des marques apparentes de son attention et de son assentiment ; elle buvait