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Chapitre VI

« Le lieutenant monta le théâtre et fit toutes les autres dispositions. J’aperçus fort bien qu’il venait souvent chez nous, dans la semaine, à des heures inaccoutumées, et je soupçonnais dans quel but. Mon impatience augmentait incroyablement, car je sentais bien qu’avant le samedi, je n’oserais prendre aucune part à ce qu’on préparait. Enfin parut le jour désiré. Mon directeur arriva le soir, à cinq heures, et me fit monter avec lui. Tremblant de joie, j’entrai, et je vis, des deux côtés de l’échafaudage, les marionnettes suspendues, dans l’ordre où elles devaient paraître ; je les considérai attentivement ; je montai sur l’estrade, qui m’éleva au-dessus du théâtre, si bien que je planais sur ce petit univers. Je regardai en bas, entre les planches, non sans une émotion respectueuse, au souvenir de l’effet superbe que tout cela produisait du dehors, et à la pensée des mystères auxquels j’étais initié. Nous fîmes une répétition et tout alla bien. Le lendemain, une société d’enfants fut invitée et nous fîmes merveille ; seulement, dans la chaleur de l’action, je laissai choir mon Jonathas, et je fus obligé d’avancer la main pour le reprendre : accident qui nuisit beaucoup à l’illusion, excita de grands éclats de rire et m’affligea vivement. Cette inadvertance fut aussi saisie avec empressement par mon père, qui se garda bien de laisser voir sa grande joie de trouver son petit garçon si habile ; il ne s’attacha qu’à mes fautes, quand la pièce fut finie, disant que la chose aurait été fort bien, si seulement ceci et cela n’avait pas manqué.

« J’étais profondément mortifié ; je fus triste pendant la soirée ; mais, le lendemain matin, ayant oublié tout mon chagrin dans les bras du sommeil, j’étais heureux de penser qu’à part cet