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«  Je doute un peu qu’il fût résigné à la conséquence la plus naturelle qui aurait pu naître de cette apparition, » dit la baronne, avec son enjouement ordinaire, qui revenait dès qu’un souci l’avait quittée.

Jarno fut libéralement récompensé, et l’on forgea de nouveaux projets, afin de rendre le comte toujours plus docile, d’enflammer et de fortifier l’amour de la comtesse pour Wilhelm.

Dans ce but, on raconta toute l’histoire à la noble dame. Elle s’en montra d’abord mécontente ; mais dès lors elle devint plus rêveuse, et, dans ses moments de loisir, elle sembla songer à la scène qu’on lui avait préparée, la poursuivre et en achever le tableau.

Les préparatifs qui se faisaient alors de toutes parts ne permirent plus de douter que les armées ne dussent bientôt se porter en avant, et le prince changer en même temps de quartier général. On disait même que le comte quitterait aussi le château et retournerait à la ville. Nos comédiens pouvaient donc aisément tirer leur horoscope ; mais là-dessus Mélina prenait seul quelques mesures ; les autres ne cherchaient qu’à saisir de leur mieux, au passage, les plaisirs du moment.

Cependant Wilhelm était occupé d’une façon toute particulière, La comtesse lui avait demandé une copie de ses pièces de théâtre, et il considérait le désir exprimé par l’aimable dame comme sa plus belle récompense.

Un jeune auteur, qui ne s’est pas encore vu imprimé, met, en pareil cas, le plus grand soin à faire une copie d’une netteté et d’une élégance parfaite. C’est, pour ainsi dire, l’âge d’or de la profession d’auteur : on se transporte dans ces siècles où la presse n’avait pas encore inondé le monde de tant d’écrits inutiles, où les vénérables productions du génie étaient seules copiées, et conservées par les plus nobles esprits ; et comme on arrive alors aisément à cette fausse conclusion, qu’un manuscrit soigneusement copié en lettres moulées est en même temps une rare production de génie, digne d’être possédée et recueillie par un amateur et un Mécène !

On avait ordonné un dernier festin en l’honneur du prince, dont le départ était proche. Beaucoup de dames du voisinage étaient invitées, et la comtesse s’était habillée de bonne heure.