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réponse dans quelques jours et donnez-moi votre confiance. Je vous l’assure, c’est encore une chose inconcevable pour moi que vous ayez pu vous associer à de pareilles gens. J’ai vu souvent avec chagrin et dégoût que, pour chercher du moins quelque pâture, votre cœur ait dû s’attacher à un misérable chanteur vagabond, à une équivoque et niaise petite créature. »

Il n’avait pas achevé, qu’un officier à cheval arrivait au galop, suivi d’un domestique, qui tenait un cheval de main. Jarno le salue bruyamment ; l’officier saute à bas de son cheval ; ils s’embrassent et s’entretiennent un moment, tandis que Wilhelm, troublé des derniers mots de son belliqueux ami, se tenait pensif à l’écart. Jarno parcourait quelques papiers, que l’officier lui avait remis ; tout à coup cet homme s’approche de Wilhelm, lui tend la main, et s’écrie avec emphase :

«  Je vous trouve dans une société digne de vous ! Suivez le conseil de votre ami, et par là comblez en même temps les vœux d’un inconnu, qui vous porte un intérêt sincère. »

Il dit, embrassa Wilhelm et le pressa vivement sur son cœur. À ce moment, Jarno s’approche et dit à l’officier :

«  C’est fort bien ; je vais monter à cheval et vous suivre, pour que vous puissiez recevoir les ordres nécessaires et repartir avant la nuit. »

Aussitôt ils s’élancèrent tous deux sur leurs montures, et laissèrent notre ami à sa surprise et à ses réflexions.

Les derniers mots de Jarno retentissaient encore à ses oreilles. Il ne pouvait souffrir de voir si profondément rabaissés par cet homme, qui lui inspirait tant de respect, deux pauvres créatures humaines, qui avaient gagné innocemment son affection. La singulière embrassade de l’officier, qu’il ne connaissait pas, fit peu d’impression sur lui ; elle n’occupa qu’un moment son imagination et sa curiosité, mais les paroles de Jarno l’avaient frappé au cœur ; il était profondément blessé, et, en revenant au château, il éclatait en reproches contre lui-même, d’avoir pu méconnaître et oublier un instant la froide insensibilité de Jarno, qui se lisait dans ses yeux et dans toutes ses manières.

«  Non, non, s’écria-t-il, insensible et froid courtisan, c’est vainement que tu te figures pouvoir être un ami ! Tout ce que