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paysanne, tantôt en page ou en piqueur. Elle se donnait ainsi l’air d’une petite fée partout présente, et justement où elle était le moins attendue. Rien n’égalait sa joie, quand elle avait pu servir quelque temps la compagnie ou s’y mêler sans être reconnue, et qu’elle savait enfin se découvrir d’une façon badine.

Vers le soir, elle fit appeler Wilhelm dans sa chambre, et, comme elle avait encore quelques affaires, elle chargea Philine de le préparer.

Il vint, et fut assez surpris de trouver l’étourdie fillette au lieu des nobles dames. Elle l’accueillit avec une sorte de franchise modeste, à laquelle elle s’était exercée, et, par ce moyen, elle l’obligea lui-même à la politesse. D’abord elle plaisanta en général sur le bonheur qui le poursuivait, et qui l’amenait alors dans ce lieu, comme elle savait bien le remarquer ; puis elle lui reprocha, d’une manière agréable, sa conduite avec elle et les chagrins qu’il lui avait faits ; elle se blâma et s’accusa elle-même, avoua qu’elle avait mérité ces traitements, et fit une peinture sincère de sa situation, qu’elle nommait passée, ajoutant qu’elle se mépriserait elle-même, si elle était incapable de se corriger et de mériter l’amitié de Wilhelm.

Wilhelm fut bien surpris de ces discours. Il connaissait trop peu le monde, pour savoir que les personnes tout à fait légères, et incapables d’amendement, s’accusent souvent avec une extrême vivacité, avouent et déplorent leurs fautes avec une grande franchise, quoiqu’elles n’aient pas le moins du monde la force de quitter la route où les entraîne un naturel invincible. Il ne pouvait donc persister dans sa mauvaise humeur avec la jolie pécheresse ; il engagea la conversation, et il apprit le projet d’un singulier travestissement, par lequel on songeait à surprendre la belle comtesse.

Il éprouva quelques scrupules, dont il ne fit pas mystère à Philine ; mais la baronne, qui survint à ce moment, ne lui laissa pas le temps de balancer ; elle l’entraîna par la main, en assurant que c’était le moment d’agir.

La nuit était venue : elle le conduisit dans la garde-robe du comte, lui fit ôter son habit, pour s’envelopper dans la robe de chambre du noble seigneur, le coiffa elle-même du bonnet de nuit, avec le ruban rouge, le conduisit dans le cabinet, et le fit