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Le prince, qui ne répondit pas, et qui avait simplement témoigné son approbation par un coup d’œil bienveillant, se tourna d’un autre côté, bien que Wilhelm, qui ne savait pas encore qu’il n’est pas convenable de prolonger le discours dans une pareille situation, et de vouloir épuiser un sujet, en eût dit volontiers davantage, et eût fait voir au prince qu’il n’avait pas lu sans fruit et sans plaisir son poëte favori.

«  N’avez-vous jamais lu Shakspeare ? lui dit Jarno en le prenant à part.

— Non, répondit Wilhelm ; car, depuis que ses ouvrages sont plus connus en Allemagne, j’ai cessé de m’occuper du théâtre, et je ne sais si je dois me féliciter de ce qu’un ancien amusement, un goût de mon enfance, s’est réveillé maintenant chez moi. Au reste, tout ce qu’on m’a dit de ces ouvrages ne m’a point rendu curieux de connaître de pareilles monstruosités, où toute bienséance et toute vraisemblance paraissent outragées.

— Je vous conseille pourtant de faire un essai : il ne peut être nuisible de voir le bizarre de ses propres yeux. Je vous en prêterai quelques parties, et vous ne pouvez faire un meilleur emploi de votre temps que de vous dégager d’abord de tout lien, et, dans la solitude de votre antique demeure, d’appliquer vos yeux à la lanterne magique de ce monde inconnu. Vous êtes coupable de perdre votre temps à costumer ces singes en hommes et à faire danser ces chiens. Je ne vous demande qu’une chose, c’est de ne pas vous arrêter à la forme : le reste, je puis l’abandonner à votre bon jugement. »

Les chevaux étaient devant la porte, et Jarno partit avec quelques cavaliers, pour aller se divertir à la chasse. Wilhelm les suivit des yeux tristement : il aurait voulu s’entretenir longtemps encore avec cet homme, qui lui donnait, quoique avec brusquerie, de nouvelles idées, des idées dont il avait besoin.

Quand l’homme travaille au développement de ses forces, de ses idées et de ses facultés, il entre quelquefois dans une perplexité d’où les conseils d’un ami pourraient aisément le tirer ; il ressemble au voyageur qui tombe dans l’eau non loin de l’auberge : qu’une main secourable le saisisse aussitôt et l’entraîne au bord, il en est quitte pour un bain ; au lieu que, s’il parvient