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la chose à grand honneur, et ne remarquaient pas qu’on faisait amener au même instant, par les piqueurs, nombre de chiens, et avancer les chevaux dans la cour d’honneur.

On avait dit à Wilhelm qu’il ferait bien, dans l’occasion, de vanter Racine, le poëte favori du prince, et de donner par là bonne opinion de lui-même. Dans une de ces après-midi, à laquelle on l’avait appelé, il trouva l’occasion désirée. Le prince lui demanda s’il ne lisait pas aussi avec soin les grands écrivains de la scène française. Wilhelm repondit très-vivement : « Oui, monseigneur. » Il ne remarqua point que le prince, sans attendre sa réponse, allait déjà se détourner et passer à autre chose ; il s’empara de lui, l’arrêta, peu s’en faut, au passage, et poursuivit, en disant qu’il estimait fort le théâtre français, et qu’il lisait les grands maîtres avec délices ; qu’il avait appris avec une véritable joie que le prince rendait pleine justice au grand talent d’un Racine.

«  Je puis me représenter, poursuivit-il, combien les personnes d’un rang élevé doivent estimer un poëte qui sait peindre, avec tant de justesse et de perfection, leur état et leurs relations augustes. Corneille, si j’ose ainsi m’exprimer, a peint les grands hommes, et Racine les grands seigneurs. Quand je lis ses ouvrages, je puis toujours me représenter le poëte au milieu d’une cour brillante, ayant devant ses yeux un grand-roi, vivant dans la société des hommes les plus distingués et pénétrant dans les secrets de l’humanité, tels qu’ils se cachent derrière de précieuses tentures. Quand j’étudie son Britannicus, sa Bérénice, il me semble véritablement que je suis à la cour, que je suis initié aux grands et aux petits mystères de ces demeures des dieux terrestres ; et je vois, par les yeux d’un Français délicat, des rois, que tout un peuple adore, des courtisans, que la foule envie, représentés dans leur figure naturelle, avec leurs vices et leurs souffrances. Racine mourut de chagrin, dit-on, parce que Louis XIV ne le regardait plus et lui faisait sentir son mécontentement ; cette anecdote est pour moi la clef de tous ses ouvrages ; il est impossible qu’un poëte si éminent, dont la vie et la mort dépendaient du regard d’un roi, n’ait pas écrit des ouvrages dignes de l’approbation des rois et des princes. »

Jarno s’était approché, et il avait écouté notre ami avec étonnement.