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penser à lui-même, s’élever tout doucement de l’humilité, dont il se sentait pénétré naguère, à une heureuse suffisance, et, de cette hauteur, contempler dans l’avenir les plus agréables perspectives. Ceux qui ne trouvèrent dans la pièce aucun rôle à leur mesure la déclaraient en eux-mêmes détestable, et tenaient le baron pour un écrivain malheureux : en revanche, les autres, à la grande joie de l’auteur, comblèrent d’éloges les passages dans lesquels ils espéraient d’être applaudis.

La question financière fut promptement réglée : Mélina sut conclure avec le baron un traité avantageux et le tenir secret pour les autres comédiens.

Il parla de Wilhelm au baron, en passant ; assura qu’il était fort estimable comme poète dramatique, et que même il n’était pas mauvais acteur. Aussitôt le baron lia connaissance avec lui, comme avec un confrère, et Wilhelm lui fit part de quelques petites pièces, sauvées par hasard, avec de rares fragments, le jour où il avait jeté au feu la plus grande partie de ses écrits. Le baron loua les pièces aussi bien que la lecture. Il regarda comme convenu que Wilhelm se rendrait au château, et, en partant, il promit à chacun le meilleur accueil, des logements commodes, une bonne table, des applaudissements et des cadeaux ; Mélina y joignit l’assurance d’une gratification déterminée.

On peut juger de la bonne humeur que cette visite répandit parmi la troupe, qui, au lieu d’une situation pénible et misérable, voyait tout à coup devant elle le bien-être et l’honneur. Ils prenaient déjà leurs ébats sur le compte de l’avenir, et chacun jugeait malséant de garder un sou dans sa poche.

Cependant Wilhelm se demanda s’il devait suivre la troupe au château, et trouva, pour plus d’une raison, qu’il ferait sagement de s’y rendre. Mélina espérait que cet engagement avantageux lui permettrait d’acquitter au moins une partie de sa dette, et notre ami, qui désirait connaître les hommes, ne voulait pas négliger l’occasion d’observer de près le grand monde, où il espérait trouver beaucoup d’éclaircissements sur la vie, sur lui-même et sur l’art. Au reste, il n’osait pas s’avouer combien il désirait se rapprocher de la belle comtesse ; il cherchait à se persuader, d’une manière générale, que la connaissance