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Frédéric dans une espèce de frénésie. Il pleurait, grinçait les dents, trépignait, menaçait du poing, et faisait mille contorsions de colère et de douleur. Mignon était devant lui, et l’observait avec étonnement. L’aubergiste expliqua assez clairement cette étrange scène.

Après son retour, le jeune garçon, que Philine avait bien reçu, avait paru joyeux et content ; il avait chanté, sauté, jusqu’au moment où l’écuyer avait fait connaissance avec Philine. Alors le petit compagnon, encore enfant, presque jeune homme, avait commencé à témoigner son dépit, à fermer les portes avec fracas, à monter et à descendre comme un furieux. Philine lui avait commandé de servir ce soir à table, ce qui l’avait rendu toujours plus grondeur et mutin ; enfin, comme il portait un plat de ragoût, au lieu de le poser sur la table, il l’avait répandu entre mademoiselle et son convive, qui étaient assez près l’un de l’autre ; sur quoi, l’écuyer lui avait appliqué une bonne paire de soufflets et l’avait jeté à la porte.

«  Pour moi, ajouta l’aubergiste, je me suis mis à nettoyer les deux personnes, dont les habits sont en fort mauvais état. »

Quand le jeune garçon apprit le bon effet de sa vengeance, il se mit à rire aux éclats, en même temps que les larmes lui coulaient encore sur les joues. Il se réjouit quelques moments de tout son cœur ; puis, l’affront que cet homme lui avait fait, en abusant de sa force, lui revenant à la pensée, ses cris et ses menaces recommencèrent.

Wilhelm était rêveur et confus en présence de cette scène. Il voyait ses propres sentiments exprimés en traits énergiques, exagérés : lui aussi, il était enflammé d’une insurmontable jalousie, et, si la bienséance ne l’avait pas arrêté, lui aussi, il aurait satisfait sa mauvaise humeur, maltraité, avec une maligne joie, la séduisante Philine et provoqué son rival ; il aurait voulu étouffer ces gens, qui ne semblaient être là que pour son tourment.

Laërtes, qui était aussi accouru et avait appris l’aventure, encouragea malicieusement le petit furieux, lorsqu’il protesta et jura que l’écuyer lui donnerait satisfaction ; qu’il n’avait jamais souffert une insulte ; que, si l’écuyer s’y refusait, il saurait bien