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il ne pourrait s’empêcher de prendre goût à une chose absurde, de trouver supportable, peut-être même intéressant, un spectacle insipide, et de recevoir ainsi, par un côté faux, les impressions d’enfance, qui ne s’effacent jamais, pour lesquelles nous conservons toujours un certain attachement….

— Qu’est-ce qui vous amène à parler de marionnettes ? dit tout à coup Wilhelm, un peu troublé.

— Ce n’était qu’un exemple pris à l’aventure. S’il ne vous plaît pas, prenons-en un autre. Supposons que le destin ait appelé quelqu’un à devenir un grand peintre, et qu’il plaise au hasard de confiner sa jeunesse dans de sales cabanes, des étables et des granges, croyez-vous qu’un tel homme se puisse jamais élever à la pureté, à la noblesse, à la liberté de l’âme ? Plus il a reçu dans son enfance une vive impression de ces objets impurs et les a ennoblis à sa manière, plus ils se vengeront de lui dans la suite de sa vie : car, tandis qu’il cherchait à les surmonter, ils se sont identifiés avec lui de la manière la plus intime. Celui qui a vécu de bonne heure dans une société mauvaise ou insignifiante, fût-il maître d’en avoir plus tard une meilleure, regrettera toujours celle dont l’impression se mêle chez lui au souvenir des plaisirs du jeune âge, qui reviennent si rarement. »

On peut juger qu’un pareil entretien avait éloigné peu à peu tout le reste de la société. Philine surtout s’était mise à l’écart dès le commencement. On revint par un chemin détourné aux deux interlocuteurs. Philine produisit les gages, qu’il fallut racheter de diverses manières. Alors, par les plus agréables inventions et une participation aisée et naturelle, l’étranger charma toute la société, et particulièrement les dames. Et, parmi les jeux, les chants, les baisers et les agaceries de tout genre, les heures s’écoulaient de la manière la plus agréable du monde.