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coup à vos sentiments une direction si opposée ? Ne me cachez rien : je prends au sort de cette jeune fille plus d’intérêt que vous ne pensez. Que je sache tout !

— J’ai peu de chose à dire, reprit le vieillard, en revenant au ton sévère et fâché. Je ne lui pardonnerai jamais ce que j’ai souffert pour elle. Elle eut toujours une certaine confiance en moi. Je l’aimais comme ma fille, et, du vivant de ma femme, j’avais résolu de la prendre chez moi, et de la sauver des mains de la vieille, dont la direction ne me promettait rien de bon. Ma femme mourut, et ce projet n’eut pas de suite.

«  Vers la fin de notre séjour dans votre ville natale, il y a trois ans à peine, je remarquai chez elle une tristesse visible. Je la questionnai, mais elle évita de me répondre. Enfin nous partîmes. Elle voyageait dans la même voiture que moi, et je remarquai, ce qu’elle m’avoua bientôt après, qu’elle était enceinte, et dans la plus grande appréhension d’être renvoyée par le directeur. En effet il ne tarda pas longtemps à faire la découverte. Il congédia Marianne, dont l’engagement expirait d’ailleurs au bout de six semaines, et, malgré toutes nos instances, il la laissa dans une mauvaise auberge d’une petite bourgade.

«  Que le diable emporte toutes ces drôlesses ! poursuivit le vieillard avec colère, et particulièrement celle-là, qui m’a fait passer tant de mauvais moments ! Faut-il vous dire encore longuement comme elle m’a intéressé, ce que j’ai fait pour elle, comme je m’en suis occupé, et l’ai secourue même pendant l’absence ! J’aimerais mieux jeter mon argent dans la rivière, et perdre mon temps à soigner des chiens galeux, que de faire jamais la moindre attention à une pareille créature. Qu’est-il arrivé ? Au commencement, je reçus des lettres de remerciements, des nouvelles, datées de plusieurs endroits où elle séjourna ; et puis enfin plus un mot, pas même un grand merci, pour l’argent que je lui avais envoyé pendant ses couches. Oh ! que la ruse et la légèreté des femmes s’accordent bien, pour leur procurer une existence commode et faire passer de mauvais moments à un honnête homme ! »