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«  Tu ne reverras ni ne toucheras point cette enfant, avant d’avoir déclaré au juge où tu l’as volée. Je te poursuivrai sans relâche ; tu ne m’échapperas point. »

Ces paroles, que Wilhelm avait prononcées dans la chaleur de la colère, sans but et sans réflexion, par un vague sentiment, ou, si l’on veut, d’inspiration, apaisèrent tout à coup cet homme furieux.

«  Qu’ai-je à faire de cette inutile créature ? s’écria-t-il. Payez-moi ce que ses habits me coûtent, et vous pourrez la garder. Nous serons d’accord dès ce soir. »

Là-dessus, il se hâta de reprendre la représentation interrompue, et de satisfaire à l’impatience du public par quelques tours d’adresse intéressants.

Wilhelm, voyant la tranquillité rétablie, chercha l’enfant ; mais il ne put la trouver nulle part. Quelques personnes voulaient l’avoir vue au grenier, d’autres sur les toits des maisons voisines. Après l’avoir cherchée de tous côtés, il fallut se tenir en repos et attendre qu’elle revînt peut-être d’elle-même.

Sur l’entrefaite, Narcisse était rentré au logis, et Wilhelm le questionna sur la destinée et l’origine de l’enfant. Il ne savait rien ; il n’y avait pas longtemps qu’il faisait partie de la troupe. En revanche, il raconta avec beaucoup d’aisance et de légèreté ses propres aventures. Wilhelm l’ayant félicité du grand succès qu’il avait obtenu, il en parla avec beaucoup d’indifférence.

«  Nous sommes accoutumés, dit-il, à provoquer le rire et à voir admirer nos talents, mais des applaudissements extraordinaires ne rendent point notre position meilleure. L’entrepreneur nous paye, et le succès le regarde. »

Là-dessus Narcisse avait pris congé et voulait sortir à la hâte : Wilhelm lui demanda où il allait si vite. Le jeune homme sourit, et avoua que sa figure et ses talents lui avaient valu des suffrages plus solides que ceux du grand public. Il avait reçu des messages de quelques dames, qui désiraient vivement apprendre à le connaître de plus près, et il craignait de pouvoir à peine achever ses visites avant minuit. Il continua de raconter ses aventures avec la plus grande franchise, et il aurait indiqué les noms, les rues et les maisons, si Wilhelm n’avait écarté une pareille indiscrétion et ne l’avait poliment congédié.