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« compter sur son amitié. » Ainsi donc, commençons par nous enquérir de bonnes gens dont la jeune fille soit connue, et qui nous fassent son histoire.

— J’approuve votre prudence, dit le pasteur en le suivant. Ce n’est pas pour nous que nous cherchons femme : chercher femme pour autrui est chose délicate. »

Là-dessus ils allèrent au-devant de l’honorable juge, qui, toujours à ses affaires, remontait la rue.

Le sage pasteur lui dit aussitôt avec précaution :

« Nous avons vu une jeune fille, qui est assise sous le pommier, dans le jardin tout près d’ici, et qui prépare pour les enfants des habits avec une vieille coteline que sans doute on luj aura donnée. Sa figure nous a plu ; elle semble une femme de mérite. Dites-nous ce que vous en savez : nous vous le demandons dans un louable dessein. »

Aussitôt que le juge se fut approché, pour jeter les yeux dans le jardin ;

« Vous la connaissez déjà, dit-il ; vous savez la belle action que je vous ai racontée ; cette jeune fille qui a pris l’épée et s’est défendue elle et ses compagnes, c’est elle-même ! Vous voyez qu’elle est née robuste, mais elle est aussi bonne que forte ; car elle a soigné jusqu’à la mort un vieux parent, qui a succombé au chagrin de voir les malheurs de sa petite ville et le péril de ses biens. Elle a aussi souffert avec un tranquille courage la douleur que lui a causée la mort de son fiancé, jeune homme généreux, qui, dans le premier feu du désir sublime de conquérir une noble liberté, se rendit lui-même à Paris, et trouva bientôt l’effroyable mort : car, là-bas comme chez nous, il combattait la fraude et l’arbitraire. »

Ainsi parla le juge. Les deux amis le remercièrent, et, comme ils allaient le quitter, le pasteur tira de sa tiourse une pièce d’or (l’argent avait été charitablement distribué, quelques heures auparavant, lorsqu’il avait vu passer la foule des malheureux fugitifs), et il présenta cette pièce au juge et lui dit :

« Partagez ce denier entre les indigents, et Dieu veuille multiplier cette offrande ! »

L’homme refusait de l’accepter et il disait :

« Nous avons sauvé de l’argent, des habiLi et des meubles,