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par vos belles paroles, et m’avez chanté merveilles de l’activité. L’activité !… S’il ne fait pas plus de besogne que moi, celui qui plante des pommes de terre et qui va vendre son blé à la ville, je veux bien ramer encore dix ans sur la galère où je suis maintenant enchaîné.

Et la brillante misère, l’ennui, qui régnent parmi le sot peuple que l’on voit se presser ici ! la manie du rang, avec laquelle ils guettent, ils épient, le moyen de gagner un pas les uns sur les autres ; frivoles, misérables passions, qui se montrent sans le moindre voile ! Voici, par exemple, une femme qui entretient tout le monde de sa noblesse et de ses terres, en sorte que chaque étranger doit se dire : « C’est une folle, à qui un peu de noblesse et le renom de ses domaines ont tourné la tête. » Mais c’est bien pis encore ! Cette femme est la fille d’un greffier du voisinage…. Vois-tu, je ne puis comprendre que le genre humain ait assez peu de sens pour se prostituer si platement.

A la vérité, je remarque toujours plus, mon cher Wilhelm, combien l’on est fou de juger les autres d’après soi. Et puisque j’ai tant à faire avec moi-même, que mon cœur est si turbulent…. ah ! je laisse volontiers les autres suivre leur voie, s’ils veulent seulement me laisser suivre la mienne.

Ce qui m’importune le plus, ce sont les misérables distinctions sociales. Je sais, tout comme un autre, combien l’a différence des conditions est nécessaire, combien d’avantages elle me procure à moi-même : mais je voudrais qu’elle ne vînt pas me barrer le passage, au moment où je pourrais goûter encore ici-bas un peu de joie, une apparence de bonheur. Dernièrement j’ai fait, à la promenade, la connaissance d’une demoiselle de B., aimable personne, qui, au milieu de ce monde guindé, a conservé beaucoup de naturel. Nous trouvâmes du plaisir à converser ensemble, et, quand nous nous séparâmes, •je lui demandai la permission de lui rendre visite. Elle me l’accorda de si bonne grâce, que je pouvais à peine attendre le moment convenable pour me rendre chez elle. Elle n’est pas de cette ville, et demeure chez une tante. La physionomie de la vieille me déplut. Je montrai beaucoup d’attentions pour elle ; je lui adressai presque toujours la parole, et, en moins d’une demi-heure, je parvins à démêler assez bien ce que la jeune