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mûr, il s’avance impétueux, la foule ne craint pas la mort, et, quand une foule est passée, une autre foule s’élance. Et un Allemand ose rester dans sa maison ! Il espère peut-être échapper au désastre qui menace tout le monde ! Bonne mère, je vous le dis, je regrette aujourd’hui qu’on m’ait dispensé dernièrement, quand on a levé les soldats parmi les bourgeois. Il est vrai que je suis fils unique, que notre ménage est grand et notre industrie importante ; mais ne vaudrait-il pas mieux aller combattre à la frontière, que d’attendre ici la misère et l’esclavage ? Oui, la raison me le dit, et dans le fond de mon cœur s’éveillent le courage et le désir de vivre et de mourir pour la patrie et de donner aux autres un noble exemple. Certes, si l’élite de la jeunesse allemande était réunie à la frontière, résolue de ne pas céder aux étrangers, ils ne pourraient mettre le pied sur notre beau territoire, dévorer sous nos yeux les fruits de la campagne, commander aux hommes, ravir les femmes et les filles ! Voyez, ma mère, je suis résolu au fond de mon cœur à faire bientôt, à faire sur-le-champ, ce qui me semble juste et raisonnable. Car celui qui réfléchit longtemps ne choisit pas toujours le meilleur parti. Je ne retournerai pas à la maison. D’ici j’irai droit à la ville, et j’offrirai aux soldats ce bras et ce cœur pour servir la patrie. Que mon père dise alors si le sentimertt de l’honneur n’est pas vivant dans mon sein, et si je ne veux pas m’élever. »

La bonne et sage mère lui fit cette réponse expressive, en essuyant les larmes secrètes qui baignaient doucement ses yeux :

« Mon fils ? quel changement s’est fait chez toi et dans tes sentiments, pour que tu cesses de parler à ta mère, comme hier et toujours, avec franchise et liberté, et ne lui dises pas ce que tu désires ? Si un étranger entendait maintenant ton langage, il te donnerait sans doute de grandes louanges, et vanterait ta résolution comme la plus généreuse, séduit par tes paroles et tes discours imposants. Mais moi, je te blâme ; car, vois-tu, je te connais mieux. Tu caches tes sentiments, et tu poursuis de tout autres pensées. Car, je le sais, ni le tambour ni la trompette ne t’appellent ; tu ne désires pas de te montrer en uniforme devant les jeunes filles : si vaillant et si brave que tu sois,