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hommes ; ses premiers plaisirs lui deviennent peu à peu insipides ; enfin elle rencontre un homme vers lequel un sentiment inconnu l’entraîne avec une force irrésistible, sur qui elle fait reposer toutes ses espérances ; elle oublie le monde entier ; elle n’entend rien, ne voit rien, n’aime rien que lui, lui seul ; ne soupire qu’après lui, après lui seul. Elle n’est point corrompue par les frivoles plaisirs d’une inconstante vanité, et son désir va droit au but ; elle veut être à lui : elle veut, dans une éternelle union, trouver tout le bonheur qui lui manque, goûter à la fois toutes les joies après lesquelles elle soupirait. Des promesses répétées, qui mettent le sceau à toutes ses espérances, des caresses hardies, qui augmentent ses désirs, subjuguent son âme tout entière ; elle flotte dans un confus sentiment, un avantgoût de toutes les joies ; elle est exaltée au plus haut point ; enfin elle tend les bras, pour étreindre tous ses désirs…. et son bien-aimé l’abandonne…. Immobile, éperdue, la voilà devant un abîme ; autour d’elle, une nuit profonde, nulle perspective, nulle consolation, nulle espérance : car il l’a délaissée, celui en qui seul elle se sentait vivre. Elle ne voit pas le vaste monde qui est devant elle, ni les nombreux amis qui pourraient la dédommager de sa perte ; elle se sent isolée, abandonnée de tout l’univers…. et, aveuglée, oppressée par l’horrible souffrance de son cœur, elle se précipite, pour étouffer toutes ses angoisses, dans une mort où tout s’engloutit…. Albert, voilà l’histoire de bien des gens…. Eh ! n’est-ce pas ce qui arrive dans la maladie ? La nature ne trouve aucune issue pour sortir du labyrinthe des forces troublées et contraires, et l’homme doit mourir. Malheur à celui qui pourrait voir la chose et dire : « L’insensée ! si elle avait attendu, si elle avait laissé le temps agir, le désespoir se serait calmé, un autre se serait trouvé pour la consoler…. » C’est précisément comme si l’on disait : « Le fou ! mourir de la fièvre ! S’il avait attendu que ses forces fussent rétablies, ses humeurs purifiées, le tumulte de son sang apaisé, tout serait bien allé, et il vivrait encore aujourd’hui. » Albert, à qui cette comparaison ne semblait pas encore d’une justesse évidente, fit quelques nouvelles objections, et, entre autres, que j’avais parlé seulement d’une jeune fille simple : mais comment un homme d’esprit, dont les facultés ne sont pas aussi