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me salue poliment. Je venais de m’asseoir devant mon château, et je lisais les prières du matin. Il m’annonça qu’il se rendait à la cour ; alors je lui dis : * Dieu vous accompagne ! » Là-dessus il dit en gémissant : « Oh ! que j’ai faim ! Que je suis fatigué ! » Je lui dis avec amitié : « Désirez-vous manger ? —J’accepte avec « reconnaissance, » répliqua-t-il. Moi, je dis : « Je vous donnerai • de quoi volontiers. » Je l’emmenai donc, et lui servis avec empressement des cerises et du beurre. J’ai coutume de ne pas manger de viande le mercredi. Il se rassasia de pain, de beurre et de fruits. Mais mon fils, le plus jeune, s’approcha de la table, pour voir s’il n’était rien resté, car les enfants ont toujours bon appétit. Et le petit garçon happa quelque chose. Le lapin lui porta vivement un coup sur le museau : les dents et les lèvres en saignèrent. Reinhart, mon autre fils, vit la chose et prit le drôle à la gorge ; il joua son jeu et vengea son frère. Voilà ce qui s’est passé, ni plus ni moins. Je ne tardai guère, j’accourus, je punis les enfants, et je séparai, non sans peine, les combattants. S’il y a gagné quelque chose, qu’il le garde, car il avait mérité plus encore, et les jeunes lurons, si j’avais eu de mauvais desseins, l’auraient eu bientôt dépêché. Et voilà comme il me remercie ! Je lui ai, dit-il, arraché une oreille ? Il a joui de l’honneur, et il en a gardé une marque. Ensuite la corneille est venue chez moi, et s’est plainte d’avoir perdu sa femme, qui s’était, par malheur, étouffée en mangeant ; elle avait avalé un assez gros poisson avec toutes les arêtes. Où cela est arrivé, le mari le sait mieux que personne. Maintenant il vient dire que je l’ai tuée. Il l’a fait peut-être lui-même, et, si on lui faisait subir un interrogatoire sérieux, si j’osais le faire, peut-être parlerait-il autrement. Mais ils volent dans les airs plus haut que tous les sauts ne peuvent atteindre. Si désormais quelqu’un veut m’accuser de pareils délits, qu’il le fasse avec d’honnêtes et valables témoins. C’est ainsi qu’il convient d’agir avec les gens d’honneur. Jusque-là je devrais attendre. Que s’il ne s’en trouve point, il est un autre moyen. Me voici prêt à combattre. Que l’on fixe le jour et le lieu. Qu’il se présente un digne adversaire, mon égal en naissance ; que chacun soutienne son droit, et, qui en aura l’honneur, que l’honneur lui demeure. Telle fut la loi de tout temps, et je ne demande pas mieux. »