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serrer avec angoisse à ses côtés ! Je me sens heureux maintenant ; je ne voudrais pas pour beaucoup être père aujourd’hui, avoir à craindre pour une femme et des enfants. Déjà souvent j’ai pensé à la fuite, et j’ai rassemblé mes meilleurs eiïets, le vieil argent et les chaînes de ma défunte mère, dont je n’ai rien vendu jusqu’à présent. Sans doute il resterait bien des choses encore, qu’il n’est pas facile de se procurer. Les plantes même et les racines, recueillies avec beaucoup de soins, je les regretterais, bien que la valeur de cette marchandise ne soit pas grande. Si je laisse derrière moi mon commis, je quitterai sans crainte ma maison. Que je sauve mon argent et ma personne, et j’aurai tout sauvé. Un homme seul s’échappe aisément.

— Voisin, répliqua le jeune Hermann avec énergie, je ne pense point comme vous, et je ne puis approuver vos paroles. Est-ce un homme honorable, celui qui, dans le bonheur et le malheur, ne pense qu’à lui seul ; qui ne sait partager ni les plaisirs ni les peines, et qui n’y est pas entraîné par son cœur ? Aujourd’hui plus que jamais je pourrais me résoudre au mariage, car mainte bonne fille a besoin d’un homme pour la protéger, et l’homme, d’une femme qui le console, quand le malheur le menace. »

Le père dit à son fils en souriant :

« J’aime à t’entendre parler ainsi. Tu as rarement prononcé des paroles aussi raisonnables. »

La bonne mère se hâta de prendre la parole :

« Mon fils, dit-elle, en vérité, tu as raison : tes parents t’ont donné l’exemple. Ce n’est pas en des jours de fête que nous nous sommes fiancés ; c’est au contraire dans l’heure la plus triste que nous fûmes unis. Le lundi matin…. Je m’en souviens parfaitement, car, le jour auparavant, avait éclaté cet effroyable incendie, qui dévora notre petite ville…. Il y a de cela vingt ans ; c’était un dimanche, comme aujourd’hui ; le temps était sec et chaud, et il y avait peu d’eau chez nous. Tous les habitanls, se promenant en habits de fête, étaient dispersés dans les villages, dans les auberges et les moulins. Le feu commença au bout de la ville. L’incendie se répandit promptement dans les rues, produisant de lui-même un courant d’air. Les flammes dévorèrent les granges pleines de riches moissons ;