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ne se brise, car il m’est arrivé aujourd’hui une chose lamentable. Ma femme Scharfenebbe et moi, nous passions ensemble ce matin. Reineke était gisant comme mort sur la bruyère, les yeux tournés, la bouche ouverte et la langue pendante. Je me mis à crier d’horreur ; il ne bougeait pas. Je criais et le plaignais, disant : » Ah ! ah ! hélas ! » et je recommençais mes plaintes. «Ah ! il est mort ! Que j’en suis affligé ! Que j’en suis désolé ! » Ma femme aussi se lamentait ; nous gémissions tous deux. Je titai le ventre et la tête ; ma femme s’avança de même, et s’approcha du museau, pour savoir si la respiration n’indiquerait point quelque vie ; mais elle observait en vain : nous en aurions juré tous deux. Or, écoutez le malheur ! Comme, dans sa tristesse, elle approchait, sans défiance, son bec de la gueule du scélérat, il l’observa, le traître, la saisit horriblement, et lui emporta la tête. Combien je fus effrayé, je ne veux pas le dire. « Oh ! malheur à moi ! oh ! malheur à moi ! » m’écriai-je. Il s’élança, et voulut aussi me happer. Je "tressaillis et m’enfuis au plus vite. Si j’avais été moins agile, il m’aurait saisi tout de même. J’échappai à grand’peine aux pattes du meurtrier ; je volai sur un arbre. Oh ! je voudrais n’avoir pas sauvé ma triste vie. Je voyais ma femme sous les ongles du scélérat. Ah ! il eut bientôt mangé la pauvre bonne ! Il me semblait aussi glouton, aussi affamé, que s’il avait voulu en manger encore quelquesunes. Il n’a pas laissé le plus petit membre, pas le moindre osselet. Je n’ai rien vu d’aussi lamentable. Il partit, et moi, je ne pus m’empêcher de voler vers la place, la tristesse au cœur. Je ne trouvai que du sang et quelques plumes de ma femme. Je les apporte, comme preuve de crime. Hélas ! ayez pitié de moi, monseigneur. Si vous deviez cette fois épargner le traître, différer une juste vengeance, ne pas donner force à votre paix et votre sauf-conduit, on ferait là-dessus bien des discours qui pourraient vous déplaire. Car les gens disent : « II est coupable « du fait, celui qui a le pouvoir de punir et qui ne punit pas. » Alors chacun fait le maître.Votre dignité en souffrirait : veuillez y songer. »

La cour avait entendu la plainte du bon lapin et celle de la corneille. Noble, le roi, entra en colère et s’écria :

« J’en fais serment par ma foi conjugale, je punirai ce for-