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m’a commandé de la faire, comme je vais la raconter exactement. Mère, vous avez fouillé longtemps, pour chercher et choisir le vieux linge ; le paquet ne fut prêt que bien tard ; le vin et la bière furent aussi lentement et soigneusement emballés : lorsqu’enfin je sortis de la ville et gagnai la route, je rencontrai la foule des bourgeois, des femmes et des enfants qui revenaient, car la troupe des exilés était déjà loin. Je pressai le pas de mes chevaux, et je courais au village où j’avais ouï dire qu’ils faisaient halte et passaient la nuit. Mais, comme, dans mon’trajet, je montais la nouvelle route, j’aperçus un chariot aux solides brancards, traîné par deux bœufs, les plus grands et les plus forts du pays étranger. A côté du chariot, marchait, d’un pas ferme, une jeune fille. Elle dirigeait avec une longue baguette le puissant attelage, le poussait en avant, l’arrêtait, le conduisait habilement. Quand la jeune fille m’aperçut, elle s’approcha tranquillement des chevaux et me dit : • Nous n’avons « pas toujours été dans la détresse où vous voyez que nous i sommes aujourd’hui sur ces chemins ; je ne suis pas encore « accoutumée à réclamer de l’étranger l’aumône, qu’il accorde « souvent de mauvaise grâce, pour se débarrasser du pauvre ; « mais la nécessité m’oblige de parler. Là, sur la paille, est « gisante la femme du riche maître ; elle vient d’accoucher ; je « l’ai sauvée à grand’peine, dans son état de grossesse, avec les « bœufs et la voiture. Nous arrivons bien tard après les autres, « et c’est à peine si elle y pourra survivre. L’enfant nouveau« né est couché nu dans ses bras ; et nos gens pourront faire c peu de chose pour nous secourir, quand même nous les trou« venons dans le prochain village, où nous pensons nous repo« ser aujourd’hui : mais je crains qu’ils ne soient déjà partis. « Si vous avez un peu de linge, dont vous puissiez vous passer, « si vous êtes du voisinage, faites aux pauvres la charité. » Ainsi dit-elle, et la femme, toute pale, se souleva péniblement sur la paille ; elle me regardait. Je répondis : « En vérité, un « esprit divin parle souvent aux bonnes unies, en sorte qu’elles « sentent la détresse qui menace leur pauvre frère. C’est ainsi « que ma mère, dans le pressentiment de votre souffrance, m’a * remis un paquet, pour l’offrir d’abord à l’indigence nue. » En disant ces mots, je déliai les nœuds du cordon, et donnai à la