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C’est ainsi qu’il se parlai* à lui-même, lorsqu’il l’aperçut affligé, épuisé et sanglant. Enfin il lui cria :

« Monsieur mon oncle, je vous retrouve ici ? Avez-vous oublié quelque chose chez Rusteviel ? Dites-moi, je lui ferai savoir où vous êtes. Mais, s’il faut le dire, je crois que vous avez volé à cet homme beaucoup de miel, ou bien l’avez-vous honnêtement payé ? Comment les choses se sont-elles passées ? Hé ! comme vous voilà fait ! Vous avez une piteuse mine ! Le miel n’était il pas de bon goût ? Il s’en trouve encore -à vendre pour le même prix. Or ça, dites-moi vile, mon oncle, à quel ordre vous êtesvous sitôt consacré, pour vous être mis à porter sur la tête une barrette rouge ? Êtes-vous abbé ? Assurément le barbier qui vous a tondu le crâne vous a coupé les oreilles ; vous avez perdu votre toupet, à ce que je vois, et de plus la peau de vos joues et vos gants. Où donc les avez-vous laissés ? »

Voilà les propos railleurs que Brun dut s’entendre débiter, et, de douleur, il ne pouvait parler ni prendre un parti, ni se tirer d’affaire. Pour n’en pas entendre davantage, il se traîna de rechef dans l’eau, et, emporté par le courant rapide, il aborda sur une rive basse. Là il se coucha, souffrant et misérable, et, poussant des cris plaintifs, il se dit à lui-même :

« Oh ! si l’un d’eux m’avait donné le coup de grâce ! Je ne puis marcher, et je devrais achever mt>n voyage ; je devrais me rendre à la cour du roi, et je reste en chemin avec ignominie, par la méchante trahison de Reineke. Si j’en réchappe, certainement je t’en ferai repentir. »

Cependant il se leva avec effort, se traîna pendant quatre jours, avec d’horribles douleurs, et arriva enfin à la cour. Quand le roi vit l’ours dans sa détresse, il s’écria :

« Bon Dieu ! Est-ce Brun que je vois ? Pourquoi arrive-t-il si maltraité ? »

Et Brun répondit :

« Hélas ! elle est pitoyable la souffrance que vous voyez. Voilà comme Reineke, le scélérat, m’a outrageusement trahi. »

Alors le monarque irrité dit ces paroles :

« Certainement je veux punir le forfait sans miséricorde, Reineke oserait insulter un seigneur tel que Brun ! Oui, sur mon honneur, par ma couronne, je le jure, Reineke donnera à