Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome V.djvu/105

Cette page n’a pas encore été corrigée


Ils allèrent visiter la bille de chêne, et ils y trouvèrent encore la peau et le poil de la tête et des pieds. On en rit et l’on crie :

« Tu reviendras sans doute : nous gardons tes oreilles en gage. »

C’est ainsi qu’ils ajoutaient la raillerie au dommage ; mais il était joyeux d’avoir du moins échappé à sa perte. Il maudissait les paysans qui l’avaient battu : il gémissait de la douleur qu’il sentait aux pieds et aux oreilles ; il maudissait Reineke, qui t’avait trahi. En faisant ces imprécations, il nageait toujours ; la rivière, qui était grande et rapide, l’emporta, en peu de temps, presque une lieue plus bas. Alors il rampa sur le rivage même tout haletant. Jamais le soleil ne vit de bête plus tourmentée. Il ne croyait pas vivre jusqu’au lendemain ; il croyait mourir surle-champ et s’écriait :

« 0 Reineke, traître félon ! méchante créature ! »

Puis il pensait aux paysans qui l’avaient battu,al pensait à l’arbre et maudissait les ruses de Reineke.

De son côté, le renard, après avoir, de propos délibéré, conduit son oncle au marché, pour lui procurer du miel, courut après les poules. 11 connaissait l’endroit, et il en attrapa une ; il courut, et traîna bien vite sa proie vers la rivière. 11 la dévora aussitôt, et se hâta d’aller à ses affaires, en suivant toujours la rive. Il but de l’eau et se dit :

« Oh ! que je suis charmé d’avoir mené cet ours stupide à la* métairie ! Je gage que Rusteviel lui aura fait tâter sa hache. L’ours s’est toujours montré mon ennemi : j’ai pris ma revanche. Je l’ai toujours appelé mon oncle : maintenant il est resté mort à l’arbre, et je veux m’en réjouir tant que je vivrai. Il ne fera plus ni plaintes ni dommage. »

Comme il se promène ainsi, il regarde en bas vers la rive et voit Brun qui se roule. Cela le blesse au cœur que l’ours ait échappé vivant.

« Rusteviel, s’écria-t-il, paresseux, grossier, bélître, tu dédaignes un pareil morceau, qui est gras et de bon goût, que tant d’honnêtes gens désirent, et qui était si commodément tombé dans tes mains ! Mais l’honnête Brun t’a laissé un gage pour ton hospitalité. »