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syllabe. Au milieu de ces cris incessants on continue de souffler et d’allumer les bougies. Rencontrez-vous quelqu’un dans la maison, sur l’escalier, une société est-elle réunie dans une chambre, d’une fenêtre à une fenêtre voisine, partout on cherche à prendre l’avantage sur les autres et à souffler leur lumière. Toutes les conditions, tous les âges, sont en guerre ; on monte sur les marchepieds des voitures ; aucun lustre n’est en sûreté ; à peine les lanternes le sont-elles ; le petit garçon éteint la bougie de son père, et ne cesse pas de crier : Sia ammazzato il signor padre ! C’est en vain que le père le réprimande de cette malhonnêteté : l’enfant maintient la liberté de cette soirée, et ses malédictions n’en sont que plus vives. La cohue se dissipe bientôt aux deux bouts du Corso, mais c’est pour se jeter au milieu avec une nouvelle furie ; la presse qui s’ y forme passe toute idée ; l’imagination la plus vive ne peut même se la représenter.

On ne peut plus bouger de la place où l’on est assis ou debout ; la chaleur de tant de personnes, de tant de lumières, la fumée de tant de bougies qu’on souffle sans cesse, les cris de tous ces gens, qui mugissent d’autant plus fort qu’ils peuvent moins remuer un membre, tout finit par donner le vertige aux plus robustes. Il semble impossible qu’il n’arrive pas bien des accidents, que les chevaux des voitures ne s’effarouchent pas, que mainte personne ne soit pas écrasée, foulée ou blessée de quelque façon.

Cependant, comme chacun finit par désirer plus ou moins de s’échapper, on se glisse dans une ruelle, à laquelle on peut parvenir, on va respirer et se remettre dans la place voisine, et la masse finit par se dissiper, par se fondre des extrémités au centre, et cette fête de liberté et d’affranchissement universel, ces modernes saturnales, finissent au milieu de l’étourdissement commun. Le peuple court à une table bien servie, pour se régaler jusqu’à minuit de viandes qui seront bientôt défendues ; le monde élégant court au spectacle, pour prendre congé des pièces de théâtre, qu’on a beaucoup abrégées, et minuit, qui s’approche, met aussi un terme à ces plaisirs.

Une fête extravagante est donc passée comme un songe, comme un conte, et il en reste moins peut-être dans l’esprit des assistants, qu’à nos lecteurs, devant qui nous avons développé