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arrivée pouvait encore éveiller quelque défiance, surtout quand il s’offrit de me mener au port, où il voulait me conduire en des endroits d’ordinaire inaccessibles aux étrangers. Mes amis se regardaient, mais je ne me laissai pas détourner d’aller seul avec lui. Après quelq’ues discours indifférents, je lui parlai en confidence, et lui avouai que j’avais très-bien remarqué à table des signes bienveillants de plusieurs convives muets qui me donnaient à entendre que je n’étais pas isolé parmi des étrangers, que je me trouvais au contraire au milieu d’amis et même de frères. Je croyais de mon devoir de l’en remercier et je le priais d’expfîmer à ses amis la même reconnaissance. Il me répondit qu’ils avaient voulu en effet me rassurer, d’autant qu’ils connaissaient le caractère de leur chef et n’avaient eu réellement pour moi aucune crainte. Une explosion comme celle qui avait éclaté contre le Maltais était rare, et, quand pareille chose arrivait, le digne vieillard s’en faisait lui-même des reproches ; il s’observait longtemps, vivait quelque temps dans une tranquille insouciance de son office, jusqu’à ce qu’enfin, surpris par un incident inattendu, il se laissait entraîner à de nouvelles violences. L’honnête ofiicier ajouta que tout son désir et celui de ses amis était de se lier avec moi plus intimement ; il faudrait pour cela que j’eusse la complaisance de me faire connaître plus particulièrement, et la nuit prochaine en offrirait la meilleure occasion. J’esquivai poliment cette demande, et je le priai de me pardonner ma fantaisie. Je désirais que pendant mon voyage on ne vit en moi qu’un homme. Si je pouvais, comme tel, inspirer la confiance et obtenir la sympathie, cela m’était agréable el doux, mais divers motifs me défendaient d’entrer dans d’autres relations.

Je ne songeais pas à le convaincre, car je ne pouvais dire mon véritable motif. Cependant je trouvai assez remarquable l’innocente et belle association que les hommes bien pensants avaient formée sous un régime despotique, pour leur défen ?c propre et pour celle des étrangers. Je ne lui cachai pas que je connaissais fort bien leurs rapports avec d’autres voyageurs allemands ; je m’étendis sur le but louable auquel ils voulaient arriver, et je l’étonnai toujours plus par mon obstination secrète. Il fit tout son possible pour me tirer de mon incognito,