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muette nécessité ; qui est inépuisable, insensible et divine, tandis que, dans les villes et les bourgs, nous devons pourvoir à nos misérables besoins, et cependant soumettre tout à un despotisme confus, que nous appelons liberté.

Oui, je suis monté à la Furca, au Saint-Gothard ! Ces scènes sublimes, incomparables, de la nature seront toujours présentes à mon esprit ; oui, j’ai lu l’histoire romaine, afin de sentir vivement, par la comparaison, quel pauvre hère je suis.

Je n’ai jamais vu clairement comme ces derniers jours, que je pourrais vivre heureux dans une position étroite ; que je pourrais être heureux aussi bien que tout autre, si seulement je savais une profession, une profession agissante, mais qui n’eût pas à se soucier du lendemain ; qui exigeât, dans le moment, de l’application et de la fixité, sans demander ni prévoyance ni retour sur le passé. Un artisan me semble l’homme le plus heureux du monde : ce qu’il doit faire est convenu ; ce qu’il peut fournir est déterminé ; il n’a pas à méditer sur ce qu’on exige de lui ; il travaille sans réfléchir, sans effort et sans précipitation, mais avec application et avec amour, comme l’oiseau fait son nid, l’abeille, ses cellules ; il n’est que d’un degré au-dessus de l’animal, et il est homme tout à fait. Oh ! que j’envie le potier tournant sa roue, le menuisier derrière son établi !

L’agriculture ne me plaît pas ; cette première et nécessaire occupation de l’homme m’est antipathique ; on singe la nature, qui répand ses semences partout, et l’on veut produire dans ce champ-là cette sorte de grain. Mais il n’en va pas ainsi : la mauvaise herbe pousse avec vigueur ; le froid et l’humide nuisent aux blés, et la grêle les ravage. Le pauvre laboureur est toute l’année dans l’attente de savoir comment les cartes tourneront là-haut sur les nues, s’il gagnera ou perdra la partie. Un état si douteux, si incertain, peut bien être assorti à la condition humaine, à des aveugles comme nous, qui ne savent d’où ils viennent, où ils vont. Et quand même on peut se trouver bien d’abandonner ses labeurs aux chances du hasard, cependant, lorsque les choses ont très-mauvaise apparence, le pasteur saisit l’oc-