Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais je n’ai pu jouir de ces magnificences que quelques instants : le mal de mer m’a bientôt pris. Je me suis retiré dans ma chambre ; j’ai pris la position horizontale ; je me suis réduit, pour toute nourriture, au pain blanc et au vin rouge, et je me suis trouvé tout à fait à mon aise. Séparé du monde extérieur, j’ai laissé agir l’intérieur, et, comme je devais m’attendre à une lente traversée, je me suis donné un fort pensum pour me distraire. Je n’avais emporté sur mer, de tous mes papiers, que les deux premiers actes du Tasse écrits en prose poétique, Ces deux actes, à peu près semblables pour le plan et la marche à la forme actuelle, mais écrits il y a dix ans, avaient quelque chose de mou et de nébuleux, qui a bientôt disparu, lorsque, suivant des idées nouvelles, j’ai introduit le rhythme et donné à la forme la prééminence.

En mer, dimanche 31 mars 1787.

Le soleil est sorti brillant de la mer. À sept heures nous avons atteint un vaisseau français qui était parti deux jours avant nous. Le nôtre était donc bien meilleur voilier, et pourtant nous n’apercevions pas encore le terme de notre course. Nous avons été un peu réjouis de voir l’île d’Ustique, mais à gauche malheureusement, tandis que nous aurions dû la laisser à droite comme Capri. Vers midi le vent nous est devenu tout à fait contraire, et nous ne bougions pas de la place. La mer commençait à devenir plus grosse, et, sur le vaisseau, presque tout le monde était malade. J’ai gardé ma position accoutumée. J’ai remanié ma pièce tout entière. Les heures se seraient écoulées sans me faire observer leur passage, si mon fripon de Kniep, sur l’appétit duquel les flots n’avaient aucune influence, et qui m’apportait de temps en temps du pain et du vin, ne m’avait vanté avec une maligne joie l’excellent dîner, la gaieté et la grâce du jeune et habile capitaine, et son regret que je ne fusse pas en état de prendre ma part du dîner. Le passage de la gaieté et du badinage au malaise et au mal de mer, et la manière dont la transition s’opérait chez les divers membres de la société, lui fournissaient une riche matière à de malicieuses peintures.

À quatre heures après midi, le capitaine a donné au navire une autre direction. On a déployé les grandes voiles et nous avons mis le cap sur l’île d’Ustique, derrière laquelle, à notre