Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome IX.djvu/29

Cette page n’a pas encore été corrigée

saisit profondément, m’invite à l’activité, et que fais-je ? que puis-je faire ? Je m’assieds et j’écris et je décris.... Allez donc, descriptions, abusez mon ami, persuadez-lui qu’il fait quelque chose, qu’il voit et lit quelque chose !

Les Suisses seraient libres ? Ils seraient libres, ces riches bourgeois dans leurs villes fermées ? libres, ces pauvres diables sur leurs montagnes et leurs rochers ? Que ne peut-on faire accroire aux hommes, surtout si l’on conserve de la sorte quelque vieux conte dans l’esprit-de-vin ! Un jour ils se délivrèrent d’un tyran, et ils purent se croire libres un moment : mais le soleil fécond leur fit éclore du cadavre de l’oppresseur un essaim de petits tyrans par une étrange renaissance : à présent ils continuent à répéter le vieux conte ; on les entend dire, à satiété, qu’ils se sont affranchis un jour, et qu’ils sont demeurés libres ; et les voilà maintenant, derrière leurs murailles, esclaves de leurs lois et coutumes, de leurs commérages et de leurs préjugés bourgeois ; et là-haut, sur les rochers, est-ce bien la peine aussi de parler de liberté, quand, la moitié de l’année, on est tenu prisonnier par la neige comme une marmotte !

Fi ! qu’un ouvrage d’hommes, un méchant et misérable ouvrage d’hommes, une noire petite ville, un amas de bardeaux et de pierres, figure tristement au milieu de la grande et magnifique nature ! De gros cailloux et d’autres pierres sur les toits, de peur que l’orage n’enlève de dessus leurs têtes ces fristes abris ! et la saleté, le fumier ! et les crétins ébahis !... Où que l’on retrouve les hommes, on voudrait fuir loin d’eux et de leurs pauvres ouvrages.

Qu’il y ait dans l’homme beaucoup de dispositions intellectuelles qu’il ne peut développer pendant la vie, qui présagent un meilleur avenir, une existence harmonique, c’est sur quoi nous sommes d’accord, mon ami, et je ne puis non plus renoncer à mon autre rêverie, quand même tu m’as qualifié souvent de visionnaire. Nous éprouvons aussi le pressentiment d’aptitudes corporelles, au développement desquelles nous devons renoncer dans cette vie ; et assurément il en est ainsi du vol.