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cris lamentables des femmes d’Albe, qui voient détruire leur ville et qui doivent délaisser sa belle position, choisie par un chef habile, pour se plonger à leur tour dans les brouillards du Tibre, habiter la misérable colline du Cœlius, et, delà, reporter les yeux sur leur paradis perdu. Je connais peu encore la contrée, mais je suis persuadé qu’aucune ville de ces anciennes peuplades n’était aussi mal située que Rome, et lorsque enfin les Romains eurent tout englouti, ils surent se répandre au dehors avec leurs maisons de plaisance, et s’avancer jusqu’aux emplacements des villes détruites, pour vivre et jouir de la vie.

On éprouve un sentiment paisible à observer combien de gens mènent ici une vie retirée, et comme chacun s’occupe à sa manière. Nous avons vu chez un ecclésiastique, qui, sans grands talents naturels, avoué sa vie aux arts, de très-intéressantes copies de tableaux excellents, qu’il a imités en miniature. Le meilleur est la Cène de Léonard de Vinci. Le moment est celui où Jésus, assis à table familièrement avec les disciples, leur dit : « Et pourtant il en est un parmi vous qui me trahit ! » On espère avoir une gravure d’après cette copie ou d’après d’autres, dont on s’occupe. Ce sera un beau présent fait au public qu’une reproduction fidèle de ce chef-d’œuvre.

J’ai fait visite, il y a quelques jours, à un moine franciscain, le P. Jacquier, qui demeure à la Trinité-des-Monts. Il est Français de naissance, et connu par ses ouvrages de mathématiques. C’est un vieillard très-agréable et très-sage. 11 a connu les hommes les plus distingués de son temps, et même il a passé quelques mois chez Voltaire, qui l’avait pris en grande affection.

J’ai fait ici la connaissance de bien d’autres hommes d’un mérite solide, dont il se trouve à Rome un nombre infini, qu’une défiance de prêtres éloigne les uns des autres. La librairie n’amène aucune liaison, et les nouvelles littéraires sont rarement abondantes. Et puis il convient au solitaire de rechercher les ermites : car, depuis la représentation d’Aristodème, en faveur duquel nous avons déployé une véritable activité, on m’a induit une seconde fois en tentation ; mais il était trop évident qu’il ne s’agissait pas de moi : on voulait fortifier son parti, m’em-