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Maintenant le prince se décide à faire hommage de ces restes précieux au roi de Naples. On enlève les jambes que de La Porte avait substituées, on les remplace parles véritables, et, quoiqu’on eût été jusqu’à présent très-satisfait des autres, on se promet un spectacle tout nouveau et une jouissance plus harmonique.

Rome, 18 janvier.

Hier nous nous sommes bien divertis. C’était la fête de saint Antoine. Il faisait le plus beau temps du monde. Il avait gelé pendant la nuit, et le jour était chaud et serein. On sait que toutes les religions qui étendent leur culte ou leurs spéculations finissent par associer en quelque mesure les animaux aux grâces ecclésiastiques. Saint Antoine, l’abbé ou l’évêque, est le patron des quadrupèdes : sa fête est un jour de saturnales pour les bêtes de somme, comme pour leurs gardiens et leurs conducteurs. Tous les seigneurs doivent rester chez eux ce jour-là ou sortir à pied. On ne manque pas de conter des histoires alarmantes, et comme quoi des seigneurs incrédules, qui ont voulu forcer leurs cochers de mener la voiture ce jourlà, en ont été punis par de graves accidents.

La place qui s’étend devant l’église est si vaste, qu’elle pourrait passer pour déserte ; mais aujourd’hui elle était animée de la façon la plus gaie. Les chevaux et les mulets, ayant la crinière et la queue élégamment et même magnifiquement tressées de rubans, sont amenés devant la petite chapelle, située à quelque distance de l’église. Là, un prêtre, armé d’un grand goupillon, sans ménager l’eau bénite placée devant lui dans des baquets et des cuves, asperge vigoureusement les joyeuses bêtes, quelquefois même avec malice pour les exciter. Les cochers pieux apportent des cierges, grands et petits ; les seigneurs envoient des aumônes et des présenls, afin que les utiles et précieux animaux soient, durant une année, préservés de tout accident. Les Anes et les bûtes à cornes, non moins utiles et précieux à leurs maîtres, prennent leur part modeste de cette bénédiction.

Nous nous sommes donné ensuite le plaisir d’une grande promenade sous un si beau ciel, au milieu des objels les plus intéressants, auxquels nous avons fait pourtant peu d’attention cette fois, nous abandonnant sans mesure au rire et au badinage.