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autres. Si Herder voulait y consacrer quelques traits de plume ! Pour moi je suis blasé sur ce travail.

Si, depuis quelques années, j’ai préféré écrire en prose, c’est que notre prosodie flotte dans la plus grande incertitude ; car .mes habiles et doctes amis, mes collaborateurs, abandonnent au sentiment, au goût, la solution de questions nombreuses, en sorte qu’on manquerait de toute règle. Je n’aurais jamais osé traduire Jphigénie en vers ïambiques, si je n’avais trouvé dans la Prosodie de Moritz une étoile polaire. Mes entretiens avec l’auteur, surtout pendant la durée de son traitement, ont été pour moi une nouvelle source de lumière, et je prie mes amis de porter là-dessus leurs réflexions bienveillantes. 11 n’y a évidemment dans notre langue que peu de syllabes décidément brèves ou longues. On procède avec les autres selon son goût ou son caprice. Moritz a su trouver qu’il existe entre les syllabes une certaine hiérarchie, et que celle qui a plus d’importance pour le sens est longue par rapport à celle qui en a moins, et la rend brève, mais qu’elle peut aussi devenir brève à son tour, quand elle est rapprochée d’une syllabe dont le sens est plus fort. C’est là du moins un point d’appui, et lors même que, par là, toutes les difficultés ne seraient pas résolues, on a pourtant un fil directeur, auquel on peut s’attacher. Je me suis souvent aidé de ce principe, et je l’ai trouvé d’accord avec mon sentiment.

J’ai parlé de la lecture à.’Ipliigénie, et je dois dire en deux mots comment les choses se sont pas’sées. Ces jeunes hommes, accoutumés à mes premières pièces, pleines de passion et de mouvement, attendaient quelque chose comme Goetz de Berlichingen, et ils furent déconcertés par cette marche paisible : cependant les passages d’un caractère noble et pur ne manquèrent pas leur effet. Tischbein, qui avait aussi de la peine à concevoir cette absence presque tolale de passion, présenta une comparaison ou un symbole charmant. Il compara cette poésie à un sacrifice dont la fumée, refoulée par une légère pression de l’air, se traîne sur la terre, tandis que la flamme cherche à s’élever plus librement vers le ciel. Il a fait de cela un dessin très-joli et très-expressif. Je vous l’envoie dans cette lettre.

Ainsi ce travail, dont j’espérais venir bientôt à bout, m’a retenu et entretenu, m’a occupé et mis au supplice trois mois en-