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J’ai apporté ici la seconde partie des Feuilles détachées. Elles ont été très-bien reçues. Il faudrait que, pour sa récompense, Herder pût savoir avec détail le bon effet que produit ce petit livre, même à une nouvelle lecture. Tischbein ne comprenait pas qu’on eût pu écrire de telles choses sans avoir été en Italie.

On vit dans ce monde artiste comme dans une chambre ornée de glaces, où, même contre sa volonté, on voit répétés et soimême et les autres. Je voyais bien que TischLein me regardait souvent avec attention, et je découvre maintenant qu’il songea faire mon portrait. Son esquisse est faite ; il a déjà tendu la toile. Je serai représenté de grandeur naturelle, en voyageur, enveloppé d’un manteau blanc, en plein air, assis sur un obélisque renversé, et contemplant les ruines de la Campagne de Rome, qui s’enfonceront dans le lointain. Gela fera une belle toile, mais trop grande pour nos appartements du Nord.. Je pourrai bien m’y glisser encore, mais le portrait ne trouvera point de place.

Que l’on fasse d’ailleurs mille tentatives pour me tirer de mon obscurité ; que les poètes me lisent ou me fassent lire leurs vers, et qu’il ne tienne qu’à moi de jouer un rôle : cela ne me fourvoie pas et ne laisse pas que de m’amuser, car j’ai déjà djviné où l’on veut en venir ici : les mille petits cercles que je vois aux pieds de la reine du monde tiennent un peu ci et là de la petite ville. Oui, c’est ici comme partout, et ce qu’on ferait de moi et par moi rn’ennuie déjà par avance. Il faut s’attacher à un parti, soutenir des passions et des cabales, vanter les artistes et les amateurs, rabaisser les rivaux, souffrir tout des grands et des riches. Toute (cette litanie, qui ferait fuir à mille lieues, je la réciterais ici avec les autres, et cela sans aucun but ? Non, je n’irai pas plus avant qu’il ne s> ra nécessaire pour connaître aussi ces choses, et, à cet égard encore, vivre ensuite chez moi satisfait, et m’ùter, comme aux autres, toute envie de courir le monde. Je veux voir Rome, la Rome éternelle, et non celle qui passe tous les dix ans. Si j’avais du temps, je voudrais le mieux employer. J’observe en particulier qu’on lit tout autrement l’histoire à Rome que dans le reste du monde. Ailleurs on la lit du dehors au dedans ; ici on croit la lire du dedans au dehors : tout se pose autour de nous, et prend